La cause en bref

Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation

  • La décision
  • Date : le 28 mars 2024
  • Référence neutre : 2024 CSC 10
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : les juges Kasirer et Jamal ont rejeté l’appel de Mme Dickson ainsi que l’appel incident de la VGFN (avec l’accord du juge en chef Wagner et de la juge Côté)
    • Motifs dissidents : les juges Martin et O’Bonsawin étaient d’accord avec les juges majoritaires pour rejeter l’appel incident de la VGFN, mais elles auraient accueilli l’appel de Mme Dickson. Elles étaient d’avis que l’obligation de résidence ne relève pas du champ d’application de l’article 25. Elles auraient jugé que l’obligation ne pouvait être sauvegardée par l’article premier de la Charte et qu’elle devait en conséquence être déclarée inopérante.
    • Motifs dissidents : le juge Rowe était d’accord avec les juges majoritaires pour rejeter l’appel de Mme Dickson, mais il aurait accueilli l’appel incident de la VGFN. Il a dit que, suivant une application appropriée du paragraphe 32(1), l’obligation de résidence n’est pas assujettie à la Charte.
  • En appel de la Cour d’appel du Yukon
  • Renseignements sur le dossier (39856)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :

La Cour suprême confirme la validité de l’obligation qu’impose une première nation à ses dirigeants de vivre sur son territoire traditionnel.

L’appel portait sur la question de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés s’applique à une règle électorale édictée par une première nation autonome du Yukon. Il portait également sur celle de savoir si cette règle viole de manière injustifiable le droit à l’égalité garanti à une membre de la première nation par l’article 15 de la Charte. Pour répondre à la seconde question, la Cour suprême devait décider si le maintien du droit à l’égalité de cette personne portait atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada aux termes de l’article 25 de la Charte.

La Vuntut Gwitchin First Nation (« VGFN ») est une communauté autochtone autonome du Yukon. Le siège du gouvernement de la VGFN se trouve à Old Crow, un village qui est situé à environ 800 kilomètres au nord de Whitehorse, dans le territoire traditionnel des Vuntut Gwitchin, et qui constitue la principale communauté de la VGFN sur ses terres désignées. La VGFN possède sa propre Constitution ainsi que des règles et des normes électorales. L’une de ces règles exige que le chef et les conseillers élus résident sur les terres désignées de la Première Nation ou y déménagent dans les 14 jours qui suivent leur élection.

Cindy Dickson est membre de la VGFN et citoyenne du Canada. Elle vit à Whitehorse et est contrainte d’y demeurer pour des raisons personnelles. Elle souhaitait se porter candidate au poste de conseillère de la VGFN et affirmait que l’obligation de résidence était discriminatoire à son égard en tant que personne qui ne réside pas sur les terres désignées. Elle a contesté l’obligation de résidence devant la Cour suprême du Yukon, faisant valoir qu’elle violait le droit à l’égalité que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

En réponse, la VGFN a invoqué le paragraphe 32(1) de la Charte, lequel précise certaines entités qui sont assujetties à la Charte, soit les législateurs et gouvernements fédéraux et provinciaux ainsi que les entités qui sont contrôlées par un gouvernement ou qui exécutent des fonctions gouvernementales. En tant que communauté autochtone autonome, la VGFN a soutenu qu’elle n’est pas visée par la définition et la portée de la notion de « gouvernement » au paragraphe 32(1), et qu’elle n’est donc pas assujettie à la Charte. Par voie de conséquence, l’obligation de résidence échappait à l’application de la Charte.

Subsidiairement, la VGFN a fait valoir que, si elle est assujettie à la Charte, l’obligation de résidence ne viole pas le droit à l’égalité de Mme Dickson, et que, même si c’était le cas, l’obligation serait protégée par l’article 25 de la Charte. Aux termes de cet article, le fait que la Charte garantit certains droits et libertés ne doit pas porter atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — appartenant aux peuples autochtones du Canada. De l’avis de la VGFN, l’obligation de résidence protège les droits collectifs minoritaires qui ont trait à ses modes de gouvernance et de leadership de tradition autochtone. Par conséquent, cette obligation ne peut être écartée par le droit individuel garanti à Mme Dickson par la Charte.

La Cour suprême du Yukon a reconnu que la Charte s’applique à la VGFN, mais elle a conclu que, si l’obligation de résidence viole le droit à l’égalité de Mme Dickson, elle est néanmoins protégée par l’article 25 de la Charte. La contestation de Mme Dickson a en conséquence été rejetée. La Cour d’appel du Yukon est elle aussi arrivée à cette conclusion. Madame Dickson a ensuite fait appel à la Cour suprême du Canada sur la question de la validité constitutionnelle de l’obligation de résidence, tandis que la VGFN a formé un appel incident sur la question de l’application de la Charte.

La Cour suprême a rejeté l’appel de Mme Dickson ainsi que l’appel incident de la VGFN.

L’obligation de résidence est protégée en tant qu’« autre » droit ou liberté visé à l’article 25 parce qu’elle préserve la « spécificité autochtone ».

Rédigeant les motifs de jugement de la majorité, les juges Kasirer et Jamal ont conclu que la Charte s’applique à la VGFN, mais la demande de Mme Dickson fondée sur l’article 15 a été rejetée et la validité de l’obligation de résidence a été confirmée par application de l’article 25.

La Charte s’applique à la VGFN, principalement parce que celle-ci est un gouvernement par nature pour l’application du paragraphe 32(1) de la Charte. En outre, les juges Kasirer et Jamal ont reconnu que Mme Dickson avait réussi à démontrer que l’obligation de résidence constituait à première vue une violation du droit à l’égalité qui lui est garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte.

Cependant, les juges Kasirer et Jamal ont affirmé que l’obligation de résidence est l’exercice d’un « autre » droit ou liberté des peuples autochtones du Canada visé à l’article 25 de la Charte. Comme ils l’ont expliqué, l’objet de l’article 25 est de faire respecter certains droits et libertés collectifs des peuples autochtones lorsque ces droits entrent en conflit avec des droits garantis à un particulier par la Charte. Ils ont déclaré que l’obligation de résidence protège la « spécificité autochtone », considérée comme les intérêts liés à la différence culturelle autochtone, à l’occupation antérieure des Autochtones, à la souveraineté autochtone antérieure ou encore à la participation des Autochtones au processus de négociation de traités. « Obliger les dirigeants de la VGFN à résider sur les terres désignées aide à préserver le lien entre les dirigeants et le territoire, qui est profondément ancré dans la culture et les pratiques de gouvernance distinctives de la VGFN. [. . .] [L’obligation de résidence] renforce aussi la capacité de la VGFN de résister aux forces extérieures qui attirent les citoyens loin de ses terres désignées [. . .]. De tels intérêts sont associés à divers aspects de la spécificité autochtone . . . »

Les juges Kasirer et Jamal ont conclu que la demande de Mme Dickson fondée sur le droit à l’égalité que lui garantit l’article 15 portait atteinte à l’« autre » droit visé à l’article 25, ce qui engendrait un conflit irréconciliable entre ces droits. Par conséquent, suivant l’article 25, il ne pouvait être donné effet à sa demande.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.