La cause en bref

La Presse inc. c. Québec

La Cour suprême confirme des interdictions de publication visant des questions décidées avant la constitution du jury dans deux affaires criminelles.

Le paragraphe 648(1) du Code criminel constitue une interdiction automatique de publication prohibant la publication ou la diffusion de renseignements concernant les phases d’un procès criminel qui se déroulent en l’absence du jury. La question en litige consiste à décider si cette interdiction de publication automatique s’applique avant que le jury ne soit constitué et, dans l’affirmative, de quelle façon elle s’applique, compte tenu du par. 645(5) du Code criminel. Depuis 1985, le par. 645(5) confère au juge du procès le pouvoir de décider, avant la constitution du jury, toute question qui normalement ou nécessairement ferait l’objet d’une décision en l’absence du jury. La Cour suprême du Canada a entendu conjointement deux appels portant sur cette question litigieuse.

Dans les deux affaires, de nombreuses questions ont été décidées avant la constitution du jury, notamment des requêtes sollicitant l’exclusion de certains éléments de preuve au procès et l’arrêt des procédures pour cause d’abus de procédures, ainsi qu’une contestation constitutionnelle. Dans la première affaire, M. Frédérick Silva a été jugé en Cour supérieure du Québec relativement à quatre chefs d’accusation de meurtre et à un chef de tentative de meurtre. Dans la seconde affaire, non liée à la première, M. Aydin Coban a été accusé en Colombie-Britannique de plusieurs infractions de pornographie juvénile, d’extorsion, de leurre d’enfant et de harcèlement.

Certains organes de presse ont demandé des ordonnances autorisant la publication de renseignements découlant des audiences tenues sur ces questions. Dans les deux affaires, les juges ont rejeté les demandes des médias et ont conclu que le par. 648(1) s’applique avant la constitution du jury. Les renseignements découlant des audiences ne pouvaient pas être publiés tant que le jury ne se serait pas retiré pour délibérer ou n’aurait pas été libéré.

Les organes de presse ont ensuite demandé l’autorisation de faire appel directement à la Cour suprême du Canada, en s’appuyant à cette fin sur l’arrêt Dagenais. Dans cet arrêt, la Cour suprême a déclaré que des tiers, tels les organes de presse, peuvent contester une interdiction de publication imposée dans une affaire criminelle en interjetant appel directement à la Cour en vertu de l’art. 40 de la Loi sur la Cour suprême.

La Cour a accordé aux organes de presse l’autorisation de faire appel, mais elle a ultimement rejeté leurs appels.

Le paragraphe 648(1) du Code criminel s’applique avant la constitution du jury seulement s’il s’agit de questions décidées en vertu du par. 645(5).

Rédigeant la décision unanime de la Cour, le juge en chef Wagner a statué que l’interdiction de publication automatique prévue au par. 648(1) s’applique non seulement après que le jury a été constitué, mais aussi avant sa constitution à l’égard de questions décidées en vertu du par. 645(5). Il a donné les explications suivantes : « Cette conclusion découle d’une interprétation du texte du par. 648(1) considéré dans son contexte global et à la lumière de l’objectif du Parlement. Cette interprétation n’a pas pour effet d’élargir le champ d’application de l’interdiction de publication : seules les questions qui étaient visées par l’interdiction avant l’édiction du par. 645(5) continuent de l’être aujourd’hui. »

Dans l’affaire de M. Silva, les requêtes demandant l’arrêt des procédures et l’exclusion de certains éléments de preuve au procès devaient être décidées par le juge du procès. Comme ces questions ne pouvaient être décidées avant la constitution du jury qu’en vertu seulement du pouvoir que confère le par. 645(5) au juge du procès, il s’ensuit qu’elles étaient visées par l’interdiction de publication automatique. Dans l’affaire de M. Coban, les médias avaient demandé au tribunal de prononcer une déclaration précisant que le par. 648(1) s’applique uniquement après que le jury a été constitué. Le juge en chef Wagner a conclu que le rejet de cette demande par la juge du procès était conforme à l’interprétation appropriée du par. 648(1).

La publicité des débats judiciaires et la tenue de procès équitables

Le juge en chef Wagner a souligné que la publicité des débats judiciaires et la tenue de procès équitables servent à inspirer confiance au public dans le système de justice. Le public ne peut comprendre le travail des tribunaux, et ainsi avoir confiance dans le processus judiciaire et l’issue des procédures, que s’il est informé de la teneur des décisions rendues par les juges et des motifs de ces décisions. Les médias jouent un rôle crucial à cet égard. La protection des intérêts liés à la tenue de procès équitables, par exemple le droit à un jury indépendant, impartial et représentatif, est également essentielle à la confiance du public dans l’administration de la justice. Les interdictions de publication comme celle imposée en vertu du par. 648(1) constituent des limites à la publicité des débats judiciaires qui protègent le droit de l’accusé à un procès équitable ainsi que l’intérêt de la société à la tenue de tels procès.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.

 

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