La cause en bref
Lorraine (Ville) c. 2646-8926 Québec inc.
- Motifs de jugement
- Date : le 6 juillet 2018
- Référence neutre : 2018 CSC 35
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37381)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs :
- Cour d’appel du Québec : jugement rendu en appel
- Cour supérieure du Québec : jugement
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La Cour suprême a décidé que le propriétaire qui estime être victime d’une « expropriation déguisée » doit contester le règlement municipal en cause dans un délai raisonnable. Il est toujours possible pour le propriétaire de réclamer une indemnité compensatoire correspondant à la perte de valeur qu’a subie son bien même si les tribunaux rejettent sa contestation.
En 1989, la société à dénomination numérique 2646-8926 Québec inc. s’est portée acquéreuse d’un terrain boisé dans la ville de Lorraine. M. Pichette, actionnaire majoritaire de la société, prévoyait un jour y construire un lotissement domiciliaire. Toutefois, en 1991, la Ville a adopté un règlement de zonage suivant lequel plus de la moitié du terrain se trouvait désormais dans une zone de conservation. M. Pichette n’a pris connaissance de ce changement que quelque 10 années plus tard, lors de sa première visite du terrain. Il a tenté de convaincre la Ville de revenir sur sa décision concernant le terrain, mais en vain. M. Pichette a accusé la Ville d’avoir procédé à une « expropriation déguisée ». Il est question d’expropriation déguisée dans les cas où une administration publique prive un propriétaire de certains attributs de son droit de propriété (et non du bien en question) sans lui verser une juste indemnité compensatoire. Dans cette affaire, M. Pichette a affirmé que le fait d’adopter un règlement de zonage qui limitait injustement l’utilisation de son bien sans prévoir une juste indemnité compensatoire constituait une expropriation déguisée.
Le propriétaire qui estime avoir été dépossédé illégalement de son bien par une administration publique peut demander l’aide des tribunaux. Ces derniers peuvent, par exemple, annuler un règlement ou le déclarer inopposable à l’égard du bien. L’exercice de ce pouvoir par les tribunaux dans de tels cas est discrétionnaire, ce qui signifie qu’ils peuvent refuser d’intervenir, notamment si le propriétaire a attendu trop longtemps avant d’agir. La société de M. Pichette a demandé l’aide des tribunaux en 2007. Elle a demandé l’annulation du règlement et réclamé que la Ville lui verse des dommages-intérêts.
Selon le juge de première instance, les deux questions (l’annulation du règlement et le versement des dommages-intérêts) devaient être tranchées séparément. Le juge a porté son attention sur le règlement, reportant ainsi la décision relative aux dommages-intérêts. Il a rejeté la demande en nullité du règlement au motif qu’elle a été présentée trop tardivement. La Cour d’appel n’était pas du même avis. Selon elle, le juge de première instance devait se demander si le règlement constituait un abus de pouvoir, les tribunaux pouvant intervenir pour corriger de telles situations malgré les délais. (Il y a abus de pouvoir lorsqu’un acteur étatique, malintentionné ou pas, n’agit pas comme il aurait dû le faire). La Cour d’appel a tranché en faveur du propriétaire, mais a renvoyé le dossier au tribunal de juridiction inférieure pour qu’il décide de la question de l’indemnité compensatoire. La Ville a interjeté appel.
Rédigeant la décision unanime de la Cour suprême, le juge en chef Richard Wagner a tranché en faveur de la Ville. La question dont était saisie la Cour était de savoir si le juge de première instance pouvait refuser de déclarer le règlement inopposable à l’égard du propriétaire du terrain. Plus précisément, la Cour devait décider si le juge de première instance était autorisé à exprimer un tel refus alors que le propriétaire invoquait l’illégalité du règlement, mais avait attendu trop longtemps avant de se pourvoir en justice. Le juge en chef Wagner a statué qu’il était raisonnable pour le juge de première instance d’avoir rejeté la demande en raison du délai de présentation. Dans les circonstances, le juge était autorisé à utiliser son pouvoir discrétionnaire de la sorte. Il s’était écoulé 16 ans entre l’entrée en vigueur du règlement et sa contestation par la société devant les tribunaux. Il s’était en outre écoulé plus de 4 ans depuis que M. Pichette avait appris l’existence du règlement. Ces deux délais étaient déraisonnables. De plus, selon le Code civil du Québec, il n’était plus possible pour le propriétaire de présenter sa demande parce qu’il avait attendu plus de 10 ans avant d’agir. Le juge en chef Wagner a toutefois souligné la possibilité pour le propriétaire qui n’a pas contesté un règlement dans un délai raisonnable de demander une indemnité compensatoire correspondant à la perte de valeur que son bien a subie en raison du règlement. Il ne s’est pas prononcé sur l’indemnité compensatoire dans cette affaire puisque, comme l’avait affirmé le juge de première instance, cette question était distincte de celle de savoir si le règlement pouvait être opposable au propriétaire.
Cette affaire portait sur des règlements de zonage qui correspondaient, de l’avis d’un propriétaire, à une expropriation déguisée. La décision confirme que le propriétaire qui cherche à obtenir la nullité ou l’inopposabilité d’un règlement de zonage doit agir dans un délai raisonnable pour faire valoir les droits qu’il réclame, à défaut de quoi sa demande sera rejetée.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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