La cause en bref

Corner Brook (Ville) c. Bailey

La Cour suprême précise comment il faut interpréter les « décharges de responsabilité ».

Le 3 mars 2009, alors qu’elle conduisait le véhicule de son époux, Mme Bailey a heurté M. Temple, un employé de la ville de Corner Brook, à Terre-Neuve-et-Labrador, qui était en train d’effectuer des travaux de voirie. Monsieur Temple a par la suite poursuivi Mme Bailey pour les blessures qu’il a subies.

Dans l’intervalle, les Bailey ont de leur côté intenté des poursuites contre la Ville en vue d’être indemnisés des dommages causés à leur véhicule et des blessures subies par Mme Bailey. Le 26 août 2011, les Bailey ont réglé à l’amiable avec la Ville, et signé une « décharge de responsabilité » dans laquelle ils renonçaient à invoquer contre la Ville tout droit d’action passé, présent ou futur, de quelque nature que ce soit, se rapportant à l’accident.

Durant les années qui ont suivi, l’action intentée par M. Temple contre Mme Bailey a suivi son cours. Dans le cadre de cette action, Mme Bailey a déposé contre la Ville une procédure dans laquelle elle demandait au juge d’ordonner à celle-ci d’indemniser M. Temple à sa place si elle était déclarée responsable des blessures subies par ce dernier. Une telle procédure est appelée une demande de mise en cause, parce qu’elle vise à amener la Ville, qui n’était pas partie initialement à l’action dans cette affaire, à y participer. La Ville a contesté cette demande, plaidant que la décharge de responsabilité empêchait Mme Bailey de demander que la Ville doive payer à sa place. Le juge a donné raison à la Ville. Toutefois, en appel, la Cour d’appel s’est plutôt rangée du côté de Mme Bailey. La Ville a ensuite fait appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a accepté les arguments de la Ville et a accueilli l’appel. Elle a conclu que la décharge de responsabilité que Mme Bailey avait signée l’empêchait de présenter la demande de mise en cause contre la Ville.

Une « décharge de responsabilité » est un contrat

La Cour suprême a expliqué qu’une décharge de responsabilité est un contrat, qui doit être interprété conformément aux principes généraux du droit des contrats qu’elle a énoncés dans l’affaire Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp. Suivant ces principes, les tribunaux doivent donner « aux mots [. . . .] figurant [dans un contrat] le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat ». Seuls des éléments de preuve objectifs des faits au moment de la conclusion du contrat constituent de telles circonstances. L’intention subjective des parties, c’est-à-dire ce qu’elles pouvaient avoir à l’esprit à ce moment-là, ne fait pas partie de ces circonstances.

Dans la présente affaire, les juges ont souligné que la décharge de responsabilité énonçait clairement que Mme Bailey avait renoncé à faire valoir ses droits contre la Ville dans le cadre de « quelque action, poursuite, cause d’action [. . .] prévue ou imprévue [. . .] et réclamation de quelque nature que ce soit découlant de l’accident [. . .] ou s’y rapportant ». Les juges ont conclu que la demande de mise en cause présentée par Mme Bailey contre la Ville est visée par le sens ordinaire des mots utilisés dans la décharge de responsabilité. Ils ont également conclu que les circonstances de l’affaire confirment que, objectivement, les parties avaient connaissance de tous les faits à l’origine de la demande de mise en cause lorsqu’ils ont signé la décharge de responsabilité.

Formulation à envisager

Lors de l’interprétation d’une décharge de responsabilité, la question consiste à se demander si la réclamation présentée est du type de celles visées par la décharge. Par conséquent, la personne qui rédige un tel document pourrait envisager de le formuler de façon à indiquer clairement quelles sont les réclamations visées par la décharge, et si celle-ci visera aussi les réclamations encore inconnues. Une décharge de responsabilité qui précise la période ou l’objet visés est moins susceptible d’entraîner des litiges.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.