La cause en bref
Uber Technologies Inc. c. Heller
- La décision
- Date : le 26 juin 2020
- Référence neutre : 2020 CSC 16
- Décompte de la décision :
- Majorité : les juges Rosalie Silberman Abella et Malcolm Rowe ont rejeté l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer)
- Concordance : le juge Russell Brown a déclaré que la convention était nulle, non pas à cause de son caractère inique, mais parce qu’elle niait à M. Heller l’accès à la justice en lui imposant des contraintes excessives et en affaiblissant la primauté du droit
- Dissidence : la juge Suzanne Côté a dit que les tribunaux devraient respecter l’accord des parties de recourir à l’arbitrage, et elle aurait accueilli l’appel et prononcé un sursis d’instance conditionnel.
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignements sur le dossier (38534)
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- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
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Une entente stipulant qu’un chauffeur de UberEats devait recourir à l’arbitrage plutôt qu’aux tribunaux ontariens était tellement injuste qu’elle était nulle, juge la Cour suprême.
Uber est une compagnie qui a créé un logiciel (applications mobiles) permettant d’organiser du covoiturage et la livraison de repas.
Monsieur Heller travaillait comme chauffeur pour UberEats, le service de livraison de repas. Pour devenir chauffeur, M. Heller devait accepter un long contrat type en cliquant sur un lien. Il n’avait pas le pouvoir de négocier quelque aspect que ce soit de ce contrat. Il avait seulement le choix entre l’accepter ou le refuser. Le contrat précisait que tout problème juridique entre M. Heller et la compagnie devait être réglé par la Chambre de commerce internationale aux Pays-Bas, et non par une cour de justice. Une telle disposition dans un contrat s’appelle une « clause d’arbitrage ». Cela signifiait que M. Heller n’était pas autorisé à poursuivre la compagnie devant les tribunaux.
Quand M. Heller a cliqué pour accepter le contrat, il ignorait combien coûterait l’arbitrage. Le contrat ne disait rien à ce sujet. M. Heller a découvert par la suite qu’il devrait débourser presque 15 000 $ (en dollars américains) uniquement pour engager le processus. Et c’était sans compter ses honoraires d’avocat, ses frais de déplacement ou ses pertes de revenus. M. Heller gagnait entre 400 et 600 $ (en dollars canadiens) par semaine, et ce, avant impôts et dépenses d’exploitation. Engager la procédure d’arbitrage lui coûterait la plus grande partie de son revenu annuel.
En 2017, M. Heller a dit qu’Uber contrevenait aux conditions du contrat ainsi qu’au droit de l’emploi en Ontario. Il a décidé de poursuivre Uber. Sa poursuite soulevait la question de savoir si lui et les autres chauffeurs étaient des employés de la compagnie.
Uber a répondu que M. Heller ne pouvait pas intenter de poursuites devant les tribunaux ontariens, étant donné qu’il avait accepté d’aller en arbitrage.
Monsieur Heller a répliqué que la clause d’arbitrage était « inique » (c’est-à-dire tellement injuste qu’elle était nulle).
Le juge de première instance a suspendu (arrêté) la poursuite. Il a accepté l’argument de Uber selon lequel c’était l’arbitre qui devrait décider si la clause d’arbitrage était injuste. À l’inverse, la Cour d’appel a déclaré être d’accord avec M. Heller pour dire que c’étaient les tribunaux ontariens qui devaient décider si la clause d’arbitrage était valide. Elle a jugé que la clause était nulle.
En Cour suprême, les juges de la majorité ont considéré que c’étaient les tribunaux qui devaient décider si la clause d’arbitrage était injuste, déclarant également qu’elle était nulle.
Les juges majoritaires ont dit que la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario s’appliquait dans cette affaire. Selon cette loi, une action en justice ne devrait pas aller de l’avant si les deux parties ont accepté de recourir à l’arbitrage, mais il y a des exceptions à cette règle. Une de ces exceptions est le cas où la convention d’arbitrage est nulle.
Dans la présente affaire, les juges majoritaires ont affirmé que si la validité de la convention d’arbitrage était confirmée, cela aurait pour effet de priver M. Heller d’une voie de recours (c’est-à-dire d’un moyen de se faire indemniser d’un préjudice ou d’un acte répréhensible). Il n’y avait aucune possibilité que ce dernier puisse même faire entendre ses arguments sans devoir dépenser la plus grande partie de son revenu annuel et devoir probablement se rendre aux Pays-Bas. Il ne savait rien de tout cela lorsqu’il a accepté le contrat. Les juges majoritaires ont conclu que cela rendait la convention d’arbitrage inique et, par conséquent, nulle.
Les tribunaux se servent du concept de l’iniquité pour protéger les parties qui signent des contrats avec des parties qui sont en position de force par rapport à elles. Une partie qui n’a pas son mot à dire à l’égard du contrat ou qui ne comprend pas ce qu’elle signe possède un pouvoir de négociation plus faible. Les tribunaux peuvent annuler une entente si la partie en position de force obtient un avantage trop grand (même si ce n’était pas son intention).
Ayant jugé que la clause d’arbitrage était nulle pour cause d’iniquité, les juges de la majorité n’avaient pas à décider si elle était également nulle parce qu’elle permettait d’éviter l’application de textes de loi obligatoires en matière d’emploi. M. Heller pouvait donc continuer son action en justice devant les tribunaux ontariens.
Les conventions d’arbitrage sont de plus en plus répandues dans de nombreux contrats. La Cour suprême a déjà examiné des lois ontariennes en matière d’arbitrage dans l’arrêt TELUS Communications Inc. c. Wellman.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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