La cause en bref

Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique

  • La décision
  • Date : le 10 juillet 2020
  • Référence neutre : 2020 CSC 17
  • Décompte de la décision :
    • Motifs par : la juge Andromache Karakatsanis a déclaré que les règles visaient à lutter contre la discrimination génétique et à protéger la santé, et que le Parlement avait le pouvoir de les établir puisqu’elles portaient sur le droit criminel (avec l’accord des juges Abella et Martin)
    • Concordance :  le juge Michael Moldaver a affirmé que les règles visaient la protection de la santé en faisant en sorte que les gens puissent exercer un contrôle sur leurs renseignements génétiques et que le Parlement avait le pouvoir de les établir puisqu’elles portaient sur le droit criminel (avec l’accord de la juge Côté)
    • Dissidence : le juge Nicholas Kasirer a affirmé que les règles touchaient uniquement les contrats et visaient à empêcher l’utilisation inappropriée des tests génétiques auxquels des gens ont été soumis dans le but de promouvoir leur santé, et que puisque ce sont les provinces qui sont responsables d’adopter des lois relatives aux contrats, le Parlement n’avait pas le pouvoir d’établir les règles en question (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Brown et Rowe)
  • En appel de la Cour d’appel du Québec
  • Renseignements sur le dossier (38478)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs :

Le Parlement avait le pouvoir de criminaliser le fait de forcer quelqu’un à se soumettre à un test génétique ou à en révéler les résultats, juge la Cour suprême.

Les tests génétiques servent à analyser du matériel génétique (tel l’ADN) prélevé sur une personne. Ils permettent de découvrir des renseignements concernant une personne, par exemple si elle souffre d’une maladie, si elle pourrait éventuellement contracter cette maladie ou encore si elle pourrait la transmettre à ses enfants.

Le Parlement a adopté la Loi sur la non-discrimination génétique afin d’établir des règles applicables aux tests génétiques en ce qui concerne les maladies. En vertu de cette loi, le fait de forcer une personne à subir un test génétique ou à en communiquer les résultats afin de pouvoir signer un contrat ou acheter quelque chose constitue un crime. Par exemple, les compagnies d’assurance ne peuvent pas obliger les gens à subir un test génétique afin d’obtenir une assurance-vie. Le Parlement a également criminalisé le fait de recueillir, d’utiliser ou de communiquer les résultats d’un test génétique de quelqu’un sans sa permission. Toute personne qui désobéit à ces règles peut recevoir soit une amende pouvant s’élever à un million de dollars, soit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, ou encore les deux.

Le Gouvernement du Québec était d’avis que le Parlement n’avait pas compétence pour établir ces règles, c’est-à-dire qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire. Il faut se rappeler que la Constitution du Canada accorde des pouvoirs différents aux provinces et au gouvernement fédéral. Par exemple, c’est le Parlement (la partie du gouvernement fédéral chargée de l’élaboration des lois) qui possède le pouvoir de faire des lois en matière criminelle. Pour leur part, les législatures (qui élaborent les lois dans chacune des provinces) ont le pouvoir d’adopter des lois portant sur la propriété et les droits civils, notamment des lois concernant l’achat et la vente de biens et de services. Si le Parlement ou une législature provinciale adopte une loi que seul l’autre a le pouvoir d’adopter, cette loi sera jugée inconstitutionnelle.

Le Gouvernement du Québec a demandé à la Cour d’appel du Québec de décider si les règles établies par le Parlement sont inconstitutionnelles. La procureure générale du Québec a affirmé que les règles sont inconstitutionnelles, car elles ne portent pas sur le droit criminel mais visent en réalité les contrats d’assurance et d’emploi ainsi que la promotion de la santé. Le procureur général du Canada a dit qu’il était d’accord.

Les procureurs généraux du Québec et du Canada soutenaient donc tous les deux que les règles étaient inconstitutionnelles. Pour s’assurer qu’elle entendrait aussi la position contraire, la Cour d’appel a nommé un avocat chargé d’agir comme « amicus curiae » pour présenter des arguments expliquant pourquoi les règles sont constitutionnelles. Le terme « amicus curiae » est une expression latine qui signifie « ami de la Cour ». Il s’agit d’une avocate ou d’un avocat qui participe de manière indépendante à une cause à la demande d’un tribunal. L’amicus curiae a plaidé que les règles visent à protéger la sécurité et la dignité de personnes vulnérables, et à empêcher des résultats qui seraient moralement répréhensibles. Selon l’amicus curiae, de telles règles se rapportent au pouvoir du Parlement en matière de droit criminel.

La Cour d’appel a donné raison aux procureurs généraux et jugé que les règles étaient inconstitutionnelles. Elle a dit être d’avis que le Parlement n’avait pas le pouvoir d’établir ces règles, car celles-ci concernaient en réalité des sujets sur lesquels ce sont les provinces qui ont compétence. La Cour d’appel a déclaré que les règles ne relevaient pas du droit criminel.

La Coalition canadienne pour l’équité génétique a agi comme « intervenante » lors de l’audition de la cause devant la Cour d’appel. Les parties intervenantes sont des personnes ou des groupes qui, avec l’autorisation du tribunal, lui présentent leur point de vue. Elles soumettent des arguments par écrit. Dans certains cas, elles sont également autorisées à présenter de courts arguments en personne lors de l’audience. Elles permettent aux juges de considérer les questions qui leur sont soumises sous des angles différents et les aident ainsi à rendre de meilleures décisions. La Coalition soutenait que les règles se rapportent au pouvoir du Parlement en matière de droit criminel, parce qu’elles protègent la santé des gens, leur vie privée et leur droit à l’égalité. La Coalition a fait appel de la décision de la Cour d’appel devant la Cour suprême.

Selon une majorité de juges de la Cour suprême, les règles sont constitutionnelles. Cinq juges ont dit être d’avis que le Parlement avait le pouvoir d’établir les règles en question. Ces juges ont déclaré qu’il s’agit de règles de droit criminel, étant donné qu’elles interdisent des comportements, qu’elles créent des peines applicables si on ne les respecte pas et qu’elles visent à empêcher certains types de préjudice.

L’affaire a été soumise à la Cour suprême sous forme de « renvoi » provincial. Un renvoi est une procédure par laquelle les gouvernements demandent aux tribunaux leur avis sur une question donnée. (En droit, un « avis » n’est pas simplement une opinion ou un point de vue, mais bien une explication officielle du droit sur cette question.) Le gouvernement fédéral peut demander à la Cour suprême qu’elle lui donne son avis sur une question. Les gouvernements provinciaux et territoriaux peuvent demander à leur cour d’appel respective son avis sur une question, avis qui peut ensuite faire l’objet d’un appel devant la Cour suprême. En cas d’appel visant un renvoi entendu par une cour d’appel, il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de la Cour suprême pour qu’elle l’entende. La présente affaire a débuté par un renvoi soumis par le Gouvernement du Québec à la Cour d’appel du Québec.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.