La cause en bref

Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd.

  • La décision
  • Date : le 31 janvier 2019
  • Référence neutre : 2019 CSC 5
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : le juge en chef Richard Wagner a accueilli l’appel (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Gascon et Brown)
    • Dissidence : la juge Suzanne Côté était d’avis qu’il y avait une véritable incohérence entre les lois provinciales et la loi fédérale, puisque la LFI autorisait le syndic à renoncer aux obligations environnementales et que les ordonnances provinciales étaient des réclamations prouvables — par conséquent, les lois provinciales entravaient les objets de la LFI (avec l’accord du juge Moldaver)
    • Note : La juge Sheilah Martin n’a pas pris part à cette décision étant donné que les juges ne peuvent statuer sur des décisions qu’ils ont rendues quand ils siégeaient à un tribunal d’instance inférieure; elle était dissidente dans le jugement rendu par la Cour d’appel dans cette affaire, avant d’être nommée à la Cour suprême.
  • En appel de la Cour d’appel de l’Alberta
  • Renseignement sur le dossier (37627)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :

La Cour suprême a statué qu’une entreprise pétrolière et gazière qui a fait faillite doit s’acquitter de ses obligations environnementales provinciales avant de rembourser ses créanciers.

Redwater était une entreprise pétrolière et gazière de l’Alberta. Elle était propriétaire d’une centaine de puits, de pipelines et d’installations lorsqu’elle a fait faillite en 2015.

Il y a faillite lorsqu’une personne ou une entreprise est incapable de rembourser ses dettes. Selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), c’est le syndic qui s’occupe du processus. Quiconque prouve que le failli lui doit de l’argent peut faire une réclamation, appelée « réclamation prouvable en matière de faillite ». Tous ceux ayant une réclamation prouvable seront remboursés selon l’ordre établi dans la LFI. Cependant, ils ne seront pas payés s’il ne reste plus d’argent. Les autres réclamations ne font pas partie de cet ordre de priorités. L’« actif » de la société faillie (l’argent et les biens restants) doit toujours s’acquitter de ces créances, malgré la faillite. La Constitution prévoit que seul le gouvernement fédéral a le pouvoir d’adopter des lois en matière de faillite; la LFI est donc une loi fédérale.

La Constitution accorde également aux provinces le pouvoir d’adopter des lois dans certains domaines précis, notamment les ressources naturelles et les droits de propriété. Dans l’exercice de ces pouvoirs, l’Alberta a adopté des lois prévoyant que les entreprises pétrolières et gazières doivent avoir un permis d’exploitation. Dans le cadre de ce permis, les entreprises doivent « abandonner » les puits, pipelines et installations lorsqu’elles en ont terminé, ce qui veut dire démanteler de façon permanente ces structures. Elles doivent également « remettre en état » le terrain (en le nettoyant). Les entreprises ne peuvent transférer les permis sans obtenir la permission de l’Alberta Energy Regulator; elles n’obtiendront pas cette permission si elles ne se sont pas acquittées de leurs responsabilités.

La plupart des puits de Redwater étaient taris lorsqu’elle a fait faillite. Le démantèlement des structures et la remise en état du terrain auraient coûté beaucoup plus cher que ce que les sites valaient. Pour éviter de payer ces coûts, le syndic a décidé de ne pas assumer la responsabilité des puits et des sites qui n’étaient plus utilisés (c’est-à-dire qu’il les a délaissés). Il a affirmé qu’il pouvait le faire conformément à la LFI. Il voulait vendre les sites productifs pour rembourser les créanciers de Redwater. L’organisme de réglementation était d’avis que cela n’était pas permis par la LFI ou le droit provincial. Il a ordonné au syndic de démanteler les sites auxquels il avait renoncé. Le syndic a soutenu que même si l’organisme de réglementation avait raison, les ordonnances d’abandon provinciales étaient des réclamations prouvables au sens de la LFI, ce qui veut dire que l’argent servirait d’abord à rembourser les créanciers de Redwater.

Le problème, c’était que les lois fédérales et provinciales semblaient se contredire. Lorsque les lois sont appliquées, il arrive parfois qu’elles se chevauchent. Cela se produit même lorsque les gouvernements s’en tiennent à leurs champs de compétence prévus dans la Constitution. C’est souvent le cas en matière de faillite. Lorsqu’une loi provinciale valide est contraire à une loi fédérale valide, la loi fédérale s’appliquera habituellement — dans la mesure du conflit. (Les lois fédérales et provinciales doivent être considérées comme étant en harmonie, lorsque cela est possible.) En droit constitutionnel, on appelle cela la « doctrine de la prépondérance ».

Deux principales questions de droit étaient en cause. La première était celle de savoir si selon la LFI, un syndic pouvait simplement délaisser les sites dont il n’assumait pas la responsabilité; la deuxième était celle de savoir si les ordonnances provinciales relatives à l’enlèvement des structures du terrain étaient des réclamations prouvables selon LFI. Dans l’affirmative, l’ordre de paiement établi dans la LFI s’appliquait. Seul le montant d’argent restant à la fin de ce partage, le cas échéant, pourrait être utilisé pour démanteler les sites.

Le juge de première instance a conclu que le syndic pouvait délaisser les sites auxquels il avait renoncé et que les frais d’abandon étaient des réclamations prouvables. Les juges majoritaires de la Cour d’appel lui ont donné raison.

Selon les juges majoritaires de la Cour suprême, le syndic ne pouvait pas délaisser les sites auxquels il avait renoncé. Ils ont affirmé que la LFI visait à empêcher que les syndics aient à payer les réclamations environnementales de l’actif du failli de leur propre poche. Cela ne veut pas dire que l’actif de Redwater pouvait éviter ses obligations environnementales. Les juges majoritaires ont également soutenu que les coûts d’abandon n’étaient pas des réclamations prouvables. Ces coûts n’étaient pas des dettes nécessitant des paiements — il s’agissait d’obligations (envers le public et les propriétaires fonciers des environs), ce qui faisait en sorte que les coûts d’abandon ne faisaient pas partie de l’ordre de paiement prévu dans la LFI. Il n’y avait donc pas de conflit entre la loi fédérale et les lois provinciales.

Dans cette affaire, le syndic avait déjà vendu l’actif de Redwater ou y avait déjà renoncé. Le produit de la vente était détenu « en fiducie » (c’est-à-dire par un tribunal) pendant la poursuite. Cette somme d’argent doit maintenant être utilisée pour l’abandon et la remise en état du terrain avant que toute créance soit remboursée à tout créancier de Redwater.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.