La cause en bref

Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC

La Cour suprême a statué que les fournisseurs de services Internet (FSI) peuvent réclamer des frais aux titulaires de droits d’auteur pour certaines mesures prises afin d’identifier des clients soupçonnés d’avoir téléchargé du contenu illégalement. Or, ils ne peuvent réclamer des frais pour des choses qu’ils doivent faire sans frais conformément à la Loi sur le droit d’auteur.

La violation en ligne du droit d’auteur (téléchargement illégal de films et de musique) est devenue pratique courante au Canada. Jusqu’en 2015, aucune loi ne visait directement le problème. Cependant, un titulaire de droit d’auteur pouvait obtenir l’identité d’une personne ayant fait des téléchargements illégaux au moyen d’une ordonnance judiciaire obligeant le FSI à lui fournir. Afin qu’ils soient indemnisés pour leur temps et leurs efforts, et pour empêcher qu’ils soient submergés par les demandes, les FSI pouvaient réclamer une somme raisonnable en contrepartie du service rendu. Ce processus était conforme aux règles de common law (règles que les tribunaux ont créées au fil du temps).

Après avoir consulté les titulaires de droits d’auteur et les consommateurs, le gouvernement fédéral a mis à jour la Loi sur le droit d’auteur. Le « régime d’avis et avis » de la Loi est entré en vigueur en 2015. Il était destiné à s’appliquer parallèlement aux règles de common law. La common law (établie par les tribunaux) et le droit législatif (établi par le Parlement) sont tout aussi valables. Cependant, le Parlement peut modifier la common law en adoptant une loi (comme la Loi sur le droit d’auteur), à son gré. La common law comble les lacunes du droit législatif (comme la Loi sur le droit d’auteur), s’il y a lieu.

Un des objectifs du régime d’avis et avis est de décourager la violation en ligne, objectif réalisé grâce à l’envoi d’un avis aux clients selon lequel leur compte a été utilisé pour télécharger illégalement du contenu protégé par droit d’auteur. Sous le régime, le titulaire du droit d’auteur doit d’abord aviser le FSI qu’il croit qu’un de ses clients a partagé du contenu illégalement. En règle générale, le titulaire du droit d’auteur ne connaît pas l’identité véritable du client; il ne connaît que l’adresse de protocole Internet (IP) qui a été utilisée pour télécharger les fichiers. Seul le FSI peut associer une adresse IP à un client précis. Le FSI doit déterminer qui utilisait l’adresse IP au moment de la violation. Il doit ensuite envoyer un avis au client, ce qu’il fera habituellement au moyen d’un message automatique à l’adresse électronique associée au compte. Il confirme ensuite (envoie un avis) au titulaire du droit d’auteur lorsque cela a été fait. Selon la Loi, le FSI ne peut réclamer des frais au titulaire du droit d’auteur en contrepartie de ces tâches.

Si un titulaire de droit d’auteur veut connaître l’identité d’un client après l’envoi de l’avis, il doit encore obtenir une ordonnance judiciaire. La Loi prévoit que le FSI doit conserver un registre de façon à pouvoir associer les adresses IP aux clients ultérieurement. Elle prévoit aussi que le FSI ne peut exiger des frais pour la conservation de tels registres.

Des producteurs cinématographiques se sont regroupés pour lutter contre le partage illégal de leurs films. Ils voulaient connaître l’identité réelle d’un client de Rogers afin de pouvoir le poursuivre. Ils avaient déjà l’adresse IP du client, et ont obtenu une ordonnance judiciaire pour que Rogers leur donne les coordonnées et les renseignements personnels de cette personne. Les producteurs avaient l’intention de poursuivre environ 55 000 clients; il y aurait donc de nombreuses autres demandes. Rogers a rassemblé les renseignements, mais a affirmé que les producteurs devaient payer pour ce service. Elle a soutenu que le régime d’avis et avis ne prévoyait pas que les FSI devaient communiquer l’identité réelle de leurs clients aux titulaires de droits d’auteur. Cela signifiait que les anciennes règles de common law s’appliquaient encore lorsque les titulaires de droits d’auteur demandaient d’obtenir ces renseignements. Les producteurs n’étaient pas de cet avis. Ils ont soutenu que la communication de l’identité de clients faisait partie du régime créé par la Loi sur le droit d’auteur, et que Rogers ne pouvait donc pas exiger de frais en contrepartie de ces renseignements.

La Cour fédérale a tranché en faveur de Rogers, et a conclu que les FSI pouvaient être indemnisés pour toutes les mesures prises afin d’établir l’identité d’un client et de la transmettre au titulaire du droit d’auteur. Or, la Cour d’appel fédérale était en désaccord. Elle a soutenu que la Loi prévoyait que Rogers devait de toute façon conserver des renseignements qui permettraient d’établir l’identité de clients. Selon elle, Rogers ne pouvait pas être indemnisée pour des mesures qu’elle a prises et qui chevauchaient des obligations que lui imposait la Loi.

Le juge Russell Brown, au nom des juges majoritaires, a conclu que les FSI devraient recevoir une somme raisonnable pour se conformer aux ordonnances judiciaires les obligeant à révéler l’identité de clients. Toutefois, ils ne devraient pas être indemnisés pour des choses qu’ils sont déjà tenus de faire dans le cadre du régime d’avis et avis. Selon le juge Brown, le régime exige que le FSI envoie un avis au client et informe le titulaire du droit d’auteur qu’il l’a fait, ce qui comprend l’obligation de s’assurer que les renseignements sont exacts. Cela signifie que Rogers ne peut réclamer de frais au titulaire du droit d’auteur pour vérifier que les renseignements sont exacts. Le juge Brown a souligné que Rogers a suivi un processus en huit étapes en réponse à l’ordonnance judiciaire exigeant la communication de l’identité de clients. Certaines étapes devaient être suivies de toute façon en vue de la conformité à la Loi, et le juge Brown a conclu que Rogers ne pouvait donc pas être indemnisée pour celles-ci. Cependant, certaines étapes, comme l’association de l’adresse IP à l’identité réelle de la personne et la communication de cette identité au titulaire du droit d’auteur, n’étaient pas visées par la Loi. Rogers pouvait donc exiger des frais pour ces étapes. Sept autres juges étaient d’accord avec le juge Brown.

La juge Suzanne Côté était d’accord pour dire que les FSI devraient recevoir une somme raisonnable pour la communication de l’identité de clients dans le cadre d’une ordonnance judiciaire, mais elle a affirmé que Rogers devrait être en mesure d’exiger des frais pour les huit étapes qu’elle a entreprises dans la présente affaire. À son avis, les étapes ne visaient pas à confirmer que le registre était exact; elles visaient plutôt à confirmer l’identité réelle d’un client à l’aide de ce registre. La juge Côté a affirmé que même si certaines étapes visaient à confirmer que le registre est exact, Rogers devrait tout de même être indemnisée parce que les coordonnées des clients peuvent avoir changé ou certains avis peuvent avoir été envoyés à la mauvaise personne. Une erreur dans l’identification d’un client peut avoir pour conséquence que le titulaire du droit d’auteur poursuive la mauvaise personne. Pour cette raison, la juge Côté a conclu que Rogers devrait pouvoir exiger un montant raisonnable pour l’exécution d’un processus rigoureux. Cependant, Rogers et les autres FSI ne peuvent exiger de frais que pour les étapes qui sont nécessaires.

La présente affaire avait pour objet l’interprétation d’une partie de la Loi sur le droit d’auteur qui porte sur qui devrait payer pour que le FSI révèle l’identité d’un client. L’appel était fondé sur une requête préliminaire et les tribunaux n’ont pas décidé s’il y a réellement eu violation du droit d’auteur. Les juges Brown et Côté étaient d’accord pour dire que l’affaire devrait être renvoyée au juge des requêtes pour que celui-ci décide quel montant devrait recevoir Rogers.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.