La cause en bref
Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc.
- La décision
- Date : le 16 novembre 2018
- Référence neutre : 2018 CSC 50
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel fédérale
- Renseignement sur le dossier (37642)
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Le choix de s’exprimer en français ou en anglais devant certains tribunaux est un droit protégé, confirme la Cour suprême. Une nouvelle audience peut être ordonnée quand ce droit n’est pas respecté.
En 2012, M. Mazraani a travaillé pendant six mois comme représentant en assurances de personnes pour Industrielle Alliance. Son contrat stipulait qu’il était un travailleur autonome. Quand il a perdu son emploi, il a voulu demander des prestations d’assurance-emploi, mais les travailleurs autonomes n’y ont pas droit. Sa cause a abouti devant la Cour canadienne de l’impôt.
Le Canada a deux langues officielles : le français et l’anglais. Suivant la Constitution, les gens ont le droit d’employer l’une ou l’autre devant certains tribunaux (p. ex. une cour créée par le Parlement telle que la Cour canadienne de l’impôt). Le fait qu’une personne soit capable de bien s’exprimer dans une langue donnée n’est pas pertinent, car c’est la personne qui choisit la langue qu’elle utilisera et elle peut changer d’avis au milieu de l’audience (qu’il s’agisse d’un procès, d’un appel ou d’une autre procédure devant les tribunaux concernés), si elle le souhaite. Les droits linguistiques sont différents du droit que garantit la Charte de comprendre les autres (et de se faire comprendre) durant un procès. Ces droits visent à protéger les communautés de langue officielle.
Des règles de procédure s’appliquent à chaque tribunal. Selon les règles de la Cour canadienne de l’impôt, les parties peuvent dire dans quelle langue elles veulent s’exprimer en cour et elles peuvent demander les services d’un interprète si elles le désirent. Certaines causes sont toutefois entendues de manière moins formelle afin de permettre à tous les intéressés d’épargner du temps (et de l’argent). Dans de tels cas, les règles habituelles ne s’appliquent pas. Les règles simplifiées qui s’appliquaient dans le dossier de M. Mazraani ne précisaient pas la façon dont une personne pouvait indiquer au tribunal dans quelle langue elle voulait s’exprimer. Elles n’indiquaient pas non plus la marche à suivre pour demander un interprète.
À l’ouverture de l’audience, M. Mazraani a manifesté le désir de s’exprimer en anglais. Le premier témoin d’Industrielle Alliance a pour sa part voulu s’exprimer en français. Toutefois, le juge a alors dit que l’audience devrait être reportée à un autre jour, quand un interprète serait disponible pour aider M. Mazraani. Industrielle Alliance a décidé de ne pas attendre et le témoin s’est en conséquence exprimé en anglais. L’audience a duré quelques jours additionnels et d’autres témoins qui voulaient s’exprimer en français ont dû le faire en anglais. Le juge a également demandé à l’avocat d’Industrielle Alliance de plaider en anglais même si ce dernier était plus à l’aise en français. En outre, de nombreuses parties de l’audience se sont déroulées uniquement en français, de telle sorte que M. Mazraani n’était pas en mesure de comprendre ce qui se disait.
Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que M. Mazraani était un employé. Il a reproché aux témoins d’Industrielle Alliance d’avoir fait des déclarations « trompeuses » et d’avoir joué avec les mots pour éviter de dire la vérité. Il a dit que la compagnie avait à ce point mal agi qu’elle devait payer les dépens de M. Mazraani. Cette condamnation aux dépens avait pour but de décourager les « abus de procédure » (soit l’utilisation inappropriée des tribunaux).
Industrielle Alliance a interjeté appel, affirmant que le juge avait violé les droits linguistiques de ses témoins et de son avocat. La Cour d’appel fédérale lui a donné raison et a ajouté qu’il y avait eu violation des droits de M. Mazraani parce que de grandes parties de l’audience ne lui avaient jamais été traduites. Elle a ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant un autre juge.
La Cour suprême a jugé à l’unanimité que les droits linguistiques des témoins et de l’avocat avaient été violés, tout comme ceux de M. Mazraani. Même si la procédure simplifiée de la Cour canadienne de l’impôt ne comportait aucune règle concernant les droits linguistiques, cela importait peu, car le juge devait quand même veiller à la protection des droits linguistiques des personnes devant lui (particulièrement les personnes comme M. Mazraani qui se présentent devant les tribunaux sans avocat). Le juge a eu tort de demander à qui que ce soit de parler dans une langue autre que celle souhaitée. Chaque partie, chaque témoin et chaque avocat était en droit de savoir qu’il pouvait véritablement choisir la langue dans laquelle il voulait s’exprimer. D’après la Cour, les droits linguistiques sont tellement importants qu’une nouvelle audience doit généralement avoir lieu lorsque ces droits sont violés, même si les violations n’ont pas influencé le résultat. Dans le présent cas, les violations reprochées ont clairement eu une incidence sur la procédure et la décision, et, par conséquent, la Cour a ordonné la tenue d’une nouvelle audience.
Dans sa décision, la Cour a souligné que la violation des droits linguistiques d’une personne peut être perçue comme un signe de partialité à l’encontre d’un groupe linguistique. Une telle situation réduit la confiance du public envers nos tribunaux, ce qui explique entre autres pourquoi il est si important que les juges protègent ces droits.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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