La cause en bref
R. c. Média Vice Canada Inc.
- La décision
- Date : le 30 novembre 2018
- Référence neutre : 2018 CSC 53
- Décompte de la décision :
- Majorité : le juge Michael Moldaver a rejeté l’appel (avec l’accord des juges Gascon, Côté, Brown et Rowe)
- Concordance : la juge Rosalie Silberman Abella aurait aussi rejeté l’appel, mais aurait énoncé un nouveau test reconnaissant les droits indépendants que confère la Charte aux médias pour juger des demandes d’ordonnances de communication (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis et Martin)
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (37574)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
- Explorez la Cour
La Cour suprême a confirmé à l’unanimité une ordonnance qui intimait à un journaliste de remettre à la police des copies de ses conversations écrites avec une personne qui se disait membre d’un groupe terroriste.
En 2014, Média Vice Canada a publié trois articles relativement à un Canadien qui se disait membre, en Syrie, du groupe terroriste se qualifiant d’« État islamique ». Les articles étaient fondés sur des conversations qu’avait eues un des journalistes de Vice avec un homme, au moyen d’une application de messagerie instantanée. Les policiers ont lu les articles et ont estimé que l’homme commettait des crimes graves (soit participer à des activités terroristes et proférer des menaces de mort).
Les policiers voulaient enquêter, puisque les reportages ne leur fournissaient pas suffisamment de renseignements. Même si l’homme était identifié par son nom et souhaitait que son histoire soit connue, ils avaient besoin d’éléments de preuve directe — comme les copies des conversations en tant que telles. Or, l’application utilisée par le journaliste pour discuter avec l’homme ne les avait pas conservées. Seul un des participants pouvait les leur remettre. Ils ont sollicité une ordonnance contre Vice et le journaliste pour que ceux-ci soient tenus de leur remettre des copies des messages qui leur permettraient de monter leur dossier. C’est ce qu’on appelle une « ordonnance de communication », parce qu’elle oblige quelqu’un à produire (dans le sens de « remettre ») quelque chose à quelqu’un d’autre.
Avant de trancher la plupart des questions qui lui sont soumises, un juge entend les deux parties en cour. Exceptionnellement, il n’entend qu’une partie, par exemple en cas d’urgence ou de risque que les éléments de preuve soient perdus. Il s’agit d’audiences « ex parte », un terme qui signifie qu’elles se déroulent sans que l’autre partie soit présente (ou soit au courant de la procédure). Ici, les policiers ne voulaient pas que Vice soit au courant de leur tentative d’obtenir les renseignements. Ils craignaient qu’elle ne les déplace à un endroit où les tribunaux canadiens ne pourraient pas y avoir accès. Au terme d’une audience ex parte, le juge a prononcé l’ordonnance. Plus tard, lorsque Vice a reçu cette dernière, elle a affirmé ne détenir que des captures d’écran des messages et elle estimait ne pas devoir les remettre aux policiers. Elle a donc contesté l’ordonnance en cour.
Lorsque Vice est allée en cour, la loi prévoyait que l’ordonnance pouvait être annulée uniquement pour le motif qu’aucun autre juge raisonnable ne l’aurait prononcée. Les juges ne peuvent pas systématiquement réexaminer tous les détails de toutes les questions comme si elles n’avaient pas déjà été tranchées par un juge. Ce serait une perte de temps et d’argent. Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles les juges des cours supérieures font preuve de « déférence » à l’égard des décisions des instances inférieures ou s’y fient. Ils se demandent ce qu’aurait fait un juge raisonnable et non pas quelle décision ils auraient prise personnellement.
Le juge saisi de la révision a écouté les arguments de Vice. Il a quand même conclu qu’elle devait remettre les captures d’écran, parce que la décision du premier juge avait un fondement raisonnable. La Cour d’appel en est arrivée à la même conclusion.
Tous les juges de la Cour suprême sont d’avis que Vice devait remettre les captures d’écran à la police. Ils ont examiné tous les facteurs et affirmé que la décision du premier juge était raisonnable. Ils ont noté qu’il est important que les médias puissent recueillir et diffuser des informations sans interférence du gouvernement, et ils ont précisé que la presse assume un rôle spécial dans la société. Cela dit, dans ce cas-ci, ces considérations sont supplantées par l’intérêt de la société à ce qu’il y ait enquête sur les crimes et poursuite de leur auteur.
Selon les juges majoritaires, même s’il ne s’agissait pas d’un cas approprié pour apporter des changements importants aux règles sur les mandats de perquisition et sur les ordonnances de communication en lien avec les médias, ces règles avaient besoin d’être légèrement modifiées. Selon ces dernières, un juge doit premièrement se demander s’il est préférable que le média soit mis au courant de la demande d’un mandat de perquisition ou d’une ordonnance de communication présentée par la police, ou s’il doit plutôt tenir une audience ex parte. Les juges majoritaires ont ajouté une règle légèrement modifiée. Elle prévoit qu’un média contre qui est délivré un mandat ou une ordonnance ex parte doit avoir l’occasion de plaider en cour les éléments du dossier dont le premier juge n’avait pas connaissance. Si ces éléments ont pu raisonnablement avoir une incidence sur la décision du premier juge, un autre juge doit revoir l’ensemble de la décision depuis le début (et non pas seulement se demander si elle avait un fondement raisonnable). Deuxièmement, le juge doit s’assurer qu’il a été satisfait à toutes les conditions dont la liste est dressée dans le Code criminel. Plus précisément, il doit être probable qu’un crime a été commis ou le sera, que la personne visée détient les renseignements que recherchent les policiers, et que ces renseignements fourniront la preuve du crime. Troisièmement, le juge doit examiner tous les faits et toutes les circonstances. Il ou elle doit mettre en balance, d’une part, l’intérêt de la société à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs et, d’autre part, le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations. Enfin, le juge doit réfléchir à des moyens de s’assurer que le travail du média ne soit pas indûment limité. Après avoir appliqué ces règles mises à jour, les juges majoritaires ont conclu que les cours d’instances inférieures avaient eu raison de statuer comme elles l’ont fait.
La nouvelle Loi sur la protection des sources journalistiques est entrée en vigueur en 2017. Elle ne s’appliquait pas dans la présente affaire parce que les évènements en cause se sont déroulés avant cette entrée en vigueur.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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