La cause en bref

Moore c. Sweet

Une personne désignée bénéficiaire à titre irrévocable d’une police d’assurance-vie n’a pas toujours le droit de conserver le produit d’assurance, confirme la Cour suprême. Un tiers peut avoir droit à ce produit s’il y a eu « enrichissement sans cause ».

M. Moore a souscrit une police d’assurance-vie de 250 000 $ en 1985 alors qu’il était marié à Mme Moore. Cette dernière a été désignée seule bénéficiaire, ce qui veut dire qu’elle obtiendrait l’argent si M. Moore mourait. Les Moore se sont séparés en 1999 et ont divorcé en 2003. Jusqu’en 2000, ils ont payé les 507,50 $ en primes chaque année à même leur compte de banque conjoint. En 2000, Mme et M. Moore ont convenu oralement que Mme Moore paierait toutes les primes annuelles. En échange, M. Moore maintiendrait la désignation de Mme Moore comme seule bénéficiaire de la police. À partir de 2000, Mme Moore a versé elle-même les primes.  

En 2000, M. Moore a emménagé chez Mme Sweet. Peu après, il l’a désignée bénéficiaire à titre « irrévocable » de la police, même s’il avait convenu de maintenir la désignation de Mme Moore comme seule bénéficiaire. Il n’a pas informé Mme Moore de ce changement. 

La Loi sur les assurances de l’Ontario énonce les règles applicables aux polices d’assurance. Elle dispose que l’assuré peut désigner une autre personne (ou un groupe de personnes) comme bénéficiaire de sa police d’assurance-vie. Cette autre personne peut être désignée bénéficiaire soit à titre « révocable », soit à titre « irrévocable ». Une désignation effectuée à titre « révocable » peut être révoquée en tout temps. La personne en question n’a pas à consentir à la révocation, et il n’est même pas nécessaire de l’en aviser. Mme Moore était une bénéficiaire « révocable ». La désignation des bénéficiaires « irrévocables », comme celle de Mme Sweet, ne peut être révoquée qu’avec le consentement de la personne ainsi désignée.

Mme Moore n’a découvert la révocation de sa désignation comme bénéficiaire qu’au moment où M. Moore est décédé, en 2013. À ce moment, elle a alors poursuivi Mme Sweet pour 250 000 $, soit le produit en vertu de la police. Elle a soutenu que Mme Sweet avait obtenu un avantage à ses dépens et qu’aucun motif juridique ne le justifiait. On appelle ce genre de situation un « enrichissement sans cause ». Mme Moore a demandé au tribunal de mettre l’argent dans une « fiducie par interprétation », quelque chose qui est couramment demandé en cas d’enrichissement sans cause. La fiducie par interprétation oblige une personne à détenir certains biens au profit de quelqu’un d’autre. 

Mmes Moore et Sweet s’entendaient pour dire que l’entente orale entre les Moore était un contrat. Il s’agissait de savoir si la Loi sur les assurances fournissait à Mme Sweet un fondement juridique lui permettant de conserver l’argent malgré ce contrat.

Le juge du procès a tranché en faveur de Mme Moore, en affirmant que M. Moore lui avait accordé des droits sur la police au moyen de leur entente orale. La Cour d’appel n’a pas été de cet avis. Selon elle, même si Mme Moore devrait récupérer tout l’argent qu’elle a versé en primes (environ 7 000 $), Mme Sweet devrait pouvoir conserver le reste de l’argent.

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont tranché en faveur de Mme Moore. La désignation de Mme Sweet à titre de bénéficiaire irrévocable de la police ne suffit pas pour lui permettre de conserver l’argent. La Loi sur les assurances indique comment des bénéficiaires peuvent être désignés, mais elle ne précise pas que la désignation d’un nouveau bénéficiaire l’emporte automatiquement sur les droits conférés à d’autres personnes par des ententes antérieures. Les tribunaux ont déjà statué que des tiers pouvaient avoir des droits sur une police d’assurance, peu importe l’identité des bénéficiaires désignés dans celle-ci, par le biais d’un contrat ou sur le fondement de la notion d’« equity » (règles d’équité). Les tiers en question pourraient réclamer les sommes assurées en invoquant un quelconque fondement en droit ou en « equity » tel l’enrichissement sans cause.  Les juges majoritaires ont ajouté que Mme Sweet n’aurait rien reçu si Mme Moore avait cessé de payer à quelque moment que ce soit. Pour ces motifs, les juges majoritaires ont dit que Mme Moore doit obtenir le produit d’assurance grâce à une fiducie par interprétation.

La présente affaire concerne ce qui se passe quand quelqu’un a déjà un droit à l’égard d’une police d’assurance, et qu’une autre personne est désignée par la suite bénéficiaire à titre irrévocable. Les juges majoritaires ont dit qu’en l’espèce, la bénéficiaire s’était enrichie sans cause et ne pouvait pas conserver le produit d’assurance.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.