La cause en bref

Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec

La Cour suprême a statué que le président de l’assemblée législative du Québec ne pouvait pas avoir recours au privilège parlementaire pour éviter le processus de règlement des griefs lorsqu’il a congédié trois gardiens de sécurité. Le privilège parlementaire ne vise que les décisions qui sont nécessaires pour que l’assemblée législative puisse s’acquitter de son rôle constitutionnel.

En 2012, le président de l’Assemblée nationale du Québec (son assemblée législative) a congédié trois gardiens de sécurité parce qu’ils avaient utilisé les caméras de l’Assemblée pour regarder des gens dans des chambres d’un hôtel voisin. Les gardiens de sécurité étaient d’avis qu’ils n’auraient pas dû être congédiés. Leur syndicat a déposé des griefs (une plainte officielle aux termes d’une convention collective) en leur nom. Il s’agit de la procédure habituelle pour les fonctionnaires qui estiment avoir été congédiés à tort par leur employeur.

Dans cette affaire, cependant, le président a affirmé que sa décision de congédier les gardiens de sécurité était visée par le « privilège parlementaire », une sorte d’immunité (protection légale) qui découle de la Constitution. Il permet aux assemblées législatives d’exercer leurs fonctions sans ingérence extérieure. Ce privilège s’applique tant aux membres élus individuels qu’à l’assemblée législative dans son ensemble. Le président a soutenu que personne ne pouvait réviser sa décision — pas même un arbitre en droit du travail — parce qu’elle était visée par le privilège. (L’arbitre en droit du travail est la personne qui statue sur les plaintes faites aux termes de la convention collective.)

L’argument du président était fondé sur deux types précis de privilèges : le premier était le privilège à l’égard de la gestion des employés, et le deuxième, celui d’expulser les « étrangers » de l’édifice de l’Assemblée nationale, une tâche dont s’occupaient les gardiens au nom du président. (Les « étrangers » sont les personnes qui ne sont pas membres de l’assemblée législative ou des fonctionnaires de celle-ci.) Bien que les deux parties s’entendent pour dire que le privilège existe, elles n’étaient pas d’accord sur la question de savoir s’il visait le congédiement des gardiens.

L’arbitre a tranché en faveur des gardiens de sécurité, et a affirmé que la décision du président de les congédier n’était pas visée par le privilège parlementaire et qu’il pouvait instruire les griefs. Le président a demandé aux tribunaux de réviser la décision de l’arbitre. Le juge siégeant en révision a conclu en faveur du président, soutenant que la décision était en fait visée par le privilège et que l’arbitre ne pouvait pas entendre le litige. La Cour d’appel n’était pas de cet avis et a rendu une décision défavorable au président, affirmant que le privilège parlementaire ne s’appliquait pas.

La juge Andromache Karakatsanis a aussi rendu une décision défavorable au président, affirmant que le privilège parlementaire ne s’appliquait pas à sa décision de congédier les gardiens de sécurité. Selon elle, l’objet du privilège parlementaire est de permettre à l’Assemblée et à ses membres d’exercer leurs fonctions prévues par la Constitution de façon indépendante, dignement et efficacement. La portée des décisions protégées doit se limiter aux questions étroitement et directement liées au rôle constitutionnel de l’assemblée législative. Il s’agissait d’un élément important puisque les tribunaux ne peuvent réviser les décisions protégées par le privilège — même celles qui sont contraires à la Charte. La juge Karakatsanis a affirmé que la sécurité est essentielle aux travaux de l’assemblée législative, mais que ce ne sont pas toutes les décisions concernant la gestion des gardiens de sécurité qui doivent être protégées. Elle a aussi conclu que même si l’expulsion des étrangers des édifices de l’assemblée législative est protégée par le privilège, il est excessif que la décision de congédier les employés qui y participent soit elle aussi protégée. Le président peut congédier les gardiens de sécurité s’il a une bonne raison de le faire; la juge Karakatsanis dit qu’il doit cependant suivre le même processus que celui qui s’applique à tout autre fonctionnaire. Selon la juge, le litige devrait être renvoyé à l’arbitre pour que celui-ci le tranche. Cinq juges étaient d’accord avec la juge Karakatsanis.

Le juge Malcolm Rowe a reconnu que l’affaire devrait être renvoyée à l’arbitre afin que celui-ci tranche le litige, mais pour différentes raisons. Il a affirmé que l’Assemblée a énoncé de quelle façon fonctionnerait la gestion de ses employés dans la Loi sur l’Assemblée nationale. À son avis, l’Assemblée a défini la façon dont elle utiliserait son privilège en adoptant cette loi. Selon la Loi, tous les employés de l’Assemblée nationale sont des fonctionnaires et ont les mêmes droits et obligations que les autres membres de la fonction publique. La Loi prévoit une procédure afin que des employés soient soustraits à ce régime d’emploi de la fonction publique, mais la procédure n’a pas été exercée dans cette affaire. Selon le juge Rowe, l’assemblée législative ne peut établir des règles auxquelles elle serait assujettie dans une loi, pour ensuite invoquer le privilège en vue de déroger à cette loi.

Les juges Suzanne Côté et Russell Brown, dissidents, auraient tranché en faveur du président. Ils ont affirmé que la sécurité est essentielle à la capacité de l’Assemblée de faire son travail, et le président a délégué aux gardiens certaines tâches liées à la sécurité, comme l’expulsion des étrangers. Cela signifie qu’il y a un lien étroit et direct entre leur travail et le travail de l’Assemblée, et donc qu’ils sont visés par le privilège parlementaire, de même que la gestion de ces employés par le président ainsi que sa décision de les congédier. Les juges Côté et Brown ont souligné que donner à l’arbitre le pouvoir de réviser la décision du président de congédier des gardiens en qui il n’a plus confiance priverait l’Assemblée du contrôle sur une partie de sa sécurité.

Cette décision précise la portée du privilège parlementaire à l’égard de deux activités : la gestion des employés et l’expulsion des étrangers. Les juges majoritaires et les juges dissidents ont reconnu que le privilège devrait se limiter à ce qui est nécessaire pour que l’assemblée législative exerce son rôle, mais les juges majoritaires n’étaient pas d’avis que la décision du président dans cette affaire respectait cette exigence.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.