La cause en bref

Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil)

La Couronne doit agir honorablement envers les peuples autochtones du Canada, mais cela ne signifie pas que le Parlement doit les consulter pendant l’élaboration des lois, juge la Cour suprême.

La Mikisew Cree First Nation est une bande dont le territoire ancestral se trouve principalement dans le nord-est de l’Alberta et renferme des sables bitumineux. Les Mikisew ont adhéré au Traité no 8 avec d’autres groupes en 1899. Ce traité était le huitième accord signé par la reine Victoria et des premières nations de l’Ouest canadien. Aux termes du traité, en échange de leur droit de propriété sur un vaste territoire, les Mikisew conservaient le droit de chasser, de trapper et de piéger sur celui-ci. De nos jours, les droits issus de traités des peuples autochtones, tels ceux résultant du Traité no 8, sont protégés par la Constitution.

Les traités sont considérés avoir été conclus par les groupes autochtones et la « Couronne ». La « Couronne » s’entend du Canada en tant qu’État. La Couronne a négocié et signé des traités comme celui conclu avec les Mikisew en 1899, et elle conserve toujours l’obligation de les respecter. La Couronne a également d’autres obligations, fondées sur une notion du droit des Autochtones et du droit constitutionnel, l’« honneur de la Couronne », laquelle exige de la Couronne qu’elle agisse honorablement envers les peuples autochtones.

En 2012, le gouvernement fédéral a déposé deux projets de loi qui changeaient la façon dont l’environnement serait protégé au Canada. Les Mikisew ont affirmé que ces nouvelles lois nuiraient à leurs droits de chasser, de trapper et de pêcher sur les terres. Il serait possible, notamment pour des pétrolières, de construire des structures sur de nombreux cours d’eau, ou à proximité de ceux-ci, sans l’approbation du gouvernement. Selon les Mikisew, personne ne veillerait à ce que les poissons et la faune ne subissent pas de dommages. Les Mikisew n’ont pas été consultés à l’égard des changements. Ils ont prétendu que le gouvernement avait, conformément au principe de l’honneur de la Couronne, l’obligation légale de les consulter. En 2013, les Mikisew ont demandé à la Cour fédérale de contrôler les deux projets de loi, de déclarer formellement que le gouvernement aurait dû les consulter et de suspendre l’application des nouvelles lois.

En Cour fédérale, le juge saisi de la demande a déclaré que la Couronne aurait dû consulter les Mikisew dans l’élaboration des projets de loi. La Cour d’appel fédérale a quant à elle exprimé son désaccord, affirmant que, dans les faits, la Cour fédérale ne possédait pas la compétence (le pouvoir) nécessaire pour examiner la demande des Mikisew. Elle a également déclaré que les tribunaux ne devraient être habilités qu’à entendre les contestations visant des lois ayant été adoptées, pas des lois au stade de l’élaboration ou des débats, parce que c’est le Parlement, et non la Couronne, qui élabore et adopte les lois, conformément au principe de la « séparation des pouvoirs » prévu par la Constitution canadienne.

Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, différentes branches de l’État jouent des rôles différents au sein de la démocratie canadienne. L’exécutif (constitué du premier ministre et du Cabinet) décide des politiques et met en œuvre des lois (notamment en prenant des règlements). Le pouvoir législatif (le Parlement) fait et adopte les lois. Le pouvoir judiciaire (les tribunaux) interprète et applique les lois une fois qu’elles ont été adoptées. Dans la présente affaire, les Mikisew prétendaient que les ministres exerçaient des fonctions exécutives lorsqu’ils ont déposé les projets de loi. Le gouvernement affirmait pour sa part qu’ils jouaient leur rôle de législateurs.

À la Cour suprême du Canada, les juges ont tous été d’accord pour dire que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour contrôler les mesures prises par les ministres fédéraux ayant élaboré les projets de loi, et ce, parce que la Loi sur les Cours fédérales ne confère à la Cour fédérale que la compétence de contrôler les décisions d’un office fédéral. Les ministres travaillant à l’élaboration de politiques susceptibles de devenir lois ne constituent pas un tel office. Il y a cependant désaccord parmi les juges relativement à la question de l’honneur de la Couronne et à celle de l’obligation de consulter.

La juge Andromache Karakatsanis a conclu qu’il n’existait aucune obligation de consulter pendant le processus législatif. Elle a toutefois ajouté que, malgré le fait que le Parlement n’était pas tenu de consulter les Mikisew, la Couronne n’était pas pour autant libre de toute obligation. L’honneur de la Couronne s’appliquait tant à l’exécutif qu’au Parlement, même si l’obligation de consulter ne visait que les actions de l’exécutif. La Couronne demeurait tenue d’agir honorablement envers les Mikisew dans les cas où une loi était susceptible d’avoir une incidence négative sur leurs droits issus de traités. La juge Karakatsanis a souligné qu’il n’était pas important pour les Mikisew et les autres groupes que les mesures ayant porté atteinte à leurs droits aient été prises par l’exécutif ou par le Parlement. Cependant, elle a indiqué que l’obligation de consulter n’était pas la seule avenue dont ils disposaient pour protéger leurs droits constitutionnels, et que d’autres méthodes pourraient être créées à cette fin. Deux juges ont souscrit à l’opinion de la juge Karakatsanis.

La juge Rosalie Silberman Abella a conclu, tout comme la juge Karakatsanis, que le Parlement a l’obligation de préserver l’honneur de la Couronne. Elle est toutefois allée plus loin, affirmant que cette obligation comporte celle de consulter les groupes autochtones lors de l’élaboration de lois susceptibles d’avoir un effet préjudiciable à leur égard. Ce qui importe, c’est l’effet de la mesure gouvernementale sur les droits ancestraux et non l’identité de la branche du gouvernement qui est à l’origine de cette mesure. La juge Abella a déclaré que la souveraineté et le privilège parlementaires ne pouvaient l’emporter sur l’honneur de la Couronne, qui est également protégé par la Constitution. Une juge s’est rangée à l’opinion de la juge Abella.

Le juge Russell Brown a conclu que l’honneur de la Couronne ne liait que l’exécutif et non le Parlement. Par conséquent, le Parlement n’avait pas l’obligation de consulter les Mikisew. Bien que les ministres fassent partie de l’exécutif (en tant que membres du Cabinet), ils exercent des fonctions législatives lorsqu’ils déposent et débattent des projets de loi. Selon le juge Brown, solliciter l’intervention des tribunaux pendant le processus législatif (au moyen de l’obligation de consulter ou autrement) porterait atteinte à la séparation des pouvoirs et au privilège parlementaire. Il a indiqué qu’il en résulterait une grande incertitude. Le juge Brown a exprimé l’avis que les projets de loi ne peuvent être contestés devant les tribunaux qu’une fois devenus lois, et pas avant.

Le juge Malcom Rowe a souscrit à l’ensemble des motifs du juge Brown, mais a ajouté trois raisons pour lesquelles, selon lui, le processus d’élaboration des lois ne devrait être assujetti à aucune obligation de consultation. Il a affirmé que les Mikisew disposaient d’autres moyens de faire valoir leurs droits sans nuire à l’indépendance du Parlement. Il a aussi fait remarquer qu’une telle obligation pourrait grandement compliquer la tâche des gouvernements appelés à préparer des lois et des budgets. Enfin, il a affirmé que cette obligation obligerait les tribunaux à superviser les relations entre les groupes autochtones et les législateurs, une tâche qui ne leur convient pas. Deux autres juges ont souscrit à l’opinion du juge Rowe (et du juge Brown).

Cette affaire soulevait la question de savoir si la Couronne a l’obligation de consulter les peuples autochtones dans le cadre de décisions touchant des modifications législatives susceptibles de porter atteinte à des droits issus de traités de ces peuples, et si les tribunaux ont un rôle à jouer afin d’assurer le respect de cette obligation. Au total, cinq juges ont conclu que l’honneur de la Couronne est en jeu pendant l’élaboration des lois. Toutefois, sept juges ont conclu qu’il n’existe aucune obligation de consulter contraignante avant l’adoption d’une loi.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.