La cause en bref

R. c. Boudreault

La Cour suprême a statué que la suramende compensatoire obligatoire, que doit payer toute personne déclarée coupable d’un acte criminel, est inconstitutionnelle. Les juges majoritaires ont conclu qu’il s’agissait d’une peine cruelle et inusitée, et l’ont invalidée.

Selon le Code criminel, toute personne déclarée coupable d’un acte criminel doit payer une « suramende compensatoire ». Le montant de celle-ci dépend du type de crime commis. La suramende sera d’un montant correspondant à 30 % de l’amende imposée. Si aucune amende n’est imposée, la suramende sera de 100 $ pour chaque infraction punissable par procédure sommaire, et de 200 $ pour chaque infraction punissable par mise en accusation. (Ce sont différents types d’infractions, les secondes étant plus graves.) La suramende doit être payée même si le juge accorde une « absolution » à la personne, ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’autre peine. L’argent servira à aider les victimes.

Bien des gens qui commettent des crimes sont pauvres, et beaucoup ont des problèmes de dépendance ou de santé mentale. Parfois, ils ne peuvent tout simplement pas payer. Avant 2013, un juge pouvait choisir de ne pas obliger un contrevenant à payer si cela lui causait un préjudice trop important. Le Parlement a modifié la loi en 2013 pour que les juges soient tenus d’imposer la suramende compensatoire, peu importe la situation. Ils peuvent en augmenter le montant, mais pas le réduire. Dans les cas où la suramende cause un préjudice, les juges peuvent tout au plus donner à la personne plus de temps pour payer.

La présente affaire concernait sept personnes interjetant appel de quatre décisions différentes rendues dans deux provinces. Dans chaque cas, les contrevenants affirmaient ne pas pouvoir payer la suramende. Un de ceux-ci a été condamné à payer 1 400 $; cet homme était sans abri, toxicomane et sans emploi, et son revenu annuel était de 4 800 $ seulement. Un autre a été condamné à payer 700 $. Il avait des problèmes de dépendance et de santé mentale, et il ne lui restait que 136 $ par mois une fois sa nourriture et son logement payés. D’autres avaient différents problèmes de santé physique et mentale, et certains souffraient de dépendances. Ils vivaient tous dans la pauvreté. Cependant, ils ont tous été condamnés à payer des centaines ou des milliers de dollars. Même les juges rendant les ordonnances ont affirmé que les contrevenants n’avaient pas les moyens de payer, mais ils avaient les mains liées.

Les contrevenants ont fait valoir que la suramende violait l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution canadienne. L’article 12 prévoit que « chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ». Les tribunaux d’instances inférieures et tous les juges de la Cour suprême ont reconnu que la suramende était une « peine »; la question était de savoir s’il s’agissait d’une peine « cruelle et inusitée ». Cette expression désigne une peine qui n’est pas juste sévère; elle est si inacceptable et extrême que la société ne devrait pas l’autoriser.

Les Cours d’appel du Québec et de l’Ontario ont conclu que la suramende n’est pas une peine cruelle et inusitée et qu’elle est constitutionnelle. Elles ont affirmé que tous les contrevenants devaient la payer, tout en reconnaissant qu’ils ne seraient probablement pas en mesure de le faire.

Les juges majoritaires de la Cour suprême étaient en désaccord avec les cours d’appel. Ils ont affirmé que la suramende compensatoire obligatoire est en fait une peine cruelle et inusitée. La suramende crée un fardeau financier accablant pour les personnes très pauvres (pour ces personnes, quelques centaines de dollars équivalent à 23 000 $ pour le Canadien moyen). Les gens qui ne peuvent pas payer sont constamment sous la menace d’être arrêtés ou emprisonnés, même brièvement, en raison de leur non-paiement. De plus, ils sont susceptibles d’être harcelés par des agences de recouvrement. Ils sont aussi susceptibles de se retrouver en cour à maintes et maintes reprises pour expliquer pourquoi ils n’ont pas payé, ce qui représente une humiliation publique pour eux. La suramende est pratiquement une peine sans fin, parce que tout ce processus se poursuit jusqu’à ce que la suramende soit payée. Les contrevenants ne peuvent pas obtenir un pardon, qui leur permettrait de travailler et d’aller de l’avant. Selon les juges majoritaires, cela surcharge le système judiciaire, qui consacre plus d’argent à essayer de faire en sorte que des gens pauvres paient leur suramende qu’il en obtiendrait de ceux-ci.

Les juges majoritaires ont fait observer qu’une peine est plus efficace si elle est adaptée à la personne. La suramende compensatoire obligatoire ne permet pas aux juges de tenir compte de la situation de la personne, ou de la meilleure façon de faciliter la réintégration sociale de celle-ci. Parfois, la suramende donne lieu à des situations absurdes; par exemple, cinq accusations de vandalisme entraîneraient une suramende supérieure à une accusation de meurtre.

Cette décision a pour effet qu’à partir de maintenant, les juges ne peuvent plus ordonner de suramendes compensatoires. Elle ne fait pas en sorte que toutes les suramendes compensatoires ordonnées par le passé sont annulées. Lorsqu’une disposition est invalidée par un tribunal, elle n’aura d’effet rétroactif que pour les gens qui ont intenté le procès. Cependant, les juges majoritaires ont conclu que la suramende est une peine cruelle et inusitée autant lorsqu’elle est imposée que lorsqu’elle est exécutée. Un accusé condamné à payer une suramende avant que la disposition soit invalidée, mais qui ne l’a pas fait, pourrait contester la suramende lorsqu’il est amené devant le tribunal pour expliquer les raisons pourquoi il n’a pas payé.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.