La cause en bref

Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux

La Cour suprême conclut pour la première fois à l’inconstitutionnalité de certaines dispositions sur l’équité salariale au motif qu’elles sont discriminatoires.

Dans une décision rendue à 6 contre 3, la juge Rosalie Silberman Abella a rejeté, au nom des juges majoritaires, un appel du gouvernement du Québec.

En 1996, afin de contrer la discrimination salariale dont étaient victimes les femmes, le Québec a adopté une loi qui obligeait les employeurs comptant dix salariés ou plus à verser un salaire égal pour un travail de valeur égale. Dix ans plus tard, moins de la moitié d’entre eux s’étaient acquittés de cette obligation. Moins des deux tiers n’avaient même pas établi un programme d’équité salariale. En 2009, le Québec a modifié la loi pour obliger les employeurs à évaluer leurs progrès en la matière tous les cinq ans. Lorsque les évaluations révélaient qu’elles n’avaient pas été rémunérées équitablement au cours des cinq années considérées, les femmes ne pouvaient toutefois obtenir l’équité salariale que pour l’avenir, à l’exclusion d’ajustements salariaux rétroactifs.

Plusieurs syndicats ont contesté les nouvelles dispositions devant les tribunaux. Selon eux, assurer l’équité salariale seulement tous les cinq ans était discriminatoire. Les tribunaux québécois ont convenu avec eux que la loi portait atteinte aux droits des femmes à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La juge Abella a reconnu que la loi portait atteinte aux droits des femmes à l’égalité. L’équité salariale repose sur l’idée que les stéréotypes sur le rôle des femmes dans la société font en sorte que le « travail des femmes » est moins bien considéré et rémunéré que le « travail des hommes ». Les dispositions sur l’équité salariale exigent des employeurs qu’ils déterminent quels emplois sont occupés surtout par des femmes et qu’ils comparent les salaires versés pour ces emplois à ceux versés pour les emplois à prédominance masculine. Lorsqu’un salaire égal n’est pas versé pour un travail de valeur égale, l’employeur doit rémunérer ses salariées de manière à supprimer cet écart. En assurant l’équité salariale seulement tous les cinq ans, la loi permettait aux employeurs de se soustraire à leur obligation. La loi perpétuait ainsi le désavantage que subissaient déjà les femmes sur le marché du travail. Cette atteinte aux droits des femmes à l’égalité n’était pas justifiée au vu de la Constitution. Elle faisait en sorte que les manquements des employeurs continuent de pénaliser financièrement les femmes. Cinq juges se sont ralliés à la juge Abella.

Les juges Suzanne Côté, Russell Brown et Malcolm Rowe ont exprimé leur désaccord. Ils ont affirmé que la loi québécoise ne portait pas atteinte aux droits des femmes à l’égalité. Ils ont souligné que les droits conférés par la Charte sont « négatifs », en ce sens que l’État n’est pas tenu d’adopter des lois particulières — mais que, s’il en adopte, les lois en question doivent être conformes à la Charte. Le Québec a décidé d’édicter une loi sur l’équité salariale et, lorsqu’il a constaté que le régime original ne produisait pas les effets escomptés, il a choisi de le remplacer par un régime qui permettrait davantage d’atteindre l’objectif d’équité salariale en faveur des femmes. En pratique, les modifications ont été avantageuses pour les salariées et les ont rapprochées de l’équité salariale véritable. Les trois juges ont affirmé qu’il appartenait aux élus québécois, et non à la Cour, de décider de la manière d’améliorer les dispositions québécoises sur l’équité salariale. Ils ont ajouté que des ajustements salariaux rétroactifs pouvaient être obtenus à l’égard des salaires inéquitables pour la période comprise entre les évaluations.

Cet arrêt a été rendu le même jour que l’arrêt Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale) qui porte sur d’autres dispositions du régime québécois d’équité salariale.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.