La cause en bref

Rankin (Rankin’s Garage & Sales) c. J.J.

La Cour suprême a décidé qu’une entreprise qui laisse une voiture déverrouillée avec les clés à l’intérieur ne sera pas nécessaire tenue responsable si une personne est blessée après le vol du véhicule en question. L’entreprise ne sera responsable que dans les cas où elle aurait dû savoir à la fois que la voiture pouvait être volée et que quelqu’un pouvait être blessé si elle était conduite imprudemment.

Dans une décision à 7 contre 2, la juge Andromache Karakatsanis, au nom des juges majoritaires, a accueilli l’appel interjeté par le propriétaire de Rankin’s Garage, qui avait été tenu responsable de blessures de cette nature par les cours d’instances inférieures.

Un soir de juillet 2006, J âgé de quinze ans et C âgé de 16 ans étaient chez la mère de ce dernier, où ils ont bu de l’alcool en partie fourni par cette dernière et fumé de la marijuana. Quelque temps après minuit, les jeunes ont quitté la maison pour se promener en ville et voler des biens de valeur dans des voitures déverrouillées. Ils sont entrés sur le terrain du Rankin’s Garage et ont trouvé une telle voiture dont les clés avaient été mises dans le cendrier. Même sans avoir de permis de conduire et sans n’avoir jamais conduit sur la route, C s’est décidé à voler la voiture et a dit à J d’embarquer. Pendant qu’ils circulaient sur la grande route, la voiture a fait l’objet d’un accident dans lequel J a subi un grave traumatisme crânien. Rankin’s Garage, C et la mère de C ont été poursuivis pour négligence.

Le jury a réparti comme suit la responsabilité des différentes parties à l’égard de l’accident : Rankin’s Garage, 37 %; C, 23 %; la mère de C, 30 %; et, J lui-même, 10 %. La juge du procès avait conclu que le propriétaire du Rankin’s Garage aurait dû savoir que le fait de laisser un véhicule déverrouillé avec les clés à l’intérieur était susceptible d’entraîner des blessures pour des adolescents intoxiqués comme J. Il avait donc une obligation de diligence envers J. (En droit, l’obligation de diligence constitue une exigence d’agir raisonnablement pour éviter que les autres ne subissent un préjudice. Il faut que ce dernier soit raisonnablement prévisible, sans quoi l’obligation n’existe pas.)

La Cour d’appel a maintenu la décision de la juge du procès. Rankin’s Garage a interjeté appel.

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont noté qu’aucun consensus ne se dégageait de la jurisprudence antérieure quant à la question de savoir s’il existe une obligation de diligence dans des situations similaires. Pour déterminer si Rankin’s Garage était tenu à une telle obligation envers J, les juges majoritaires se sont demandé si le propriétaire du garage aurait dû savoir que son manque de diligence pouvait causer un préjudice à quelqu’un comme J. S’il est vrai que le propriétaire du garage aurait dû savoir qu’en laissant un véhicule déverrouillé avec les clés à l’intérieur, celui-ci pouvait être volé, la preuve n’a pas démontré qu’il aurait dû savoir que quelqu’un pouvait être blessé par un véhicule volé. Il en est ainsi parce qu’aucun élément de preuve n’a suggéré qu’un véhicule volé serait conduit imprudemment — par exemple, en suggérant qu’il serait volé par un adolescent. Les juges majoritaires ont souligné que le simple fait que quelque chose soit possible ne signifie pas que cela est raisonnablement prévisible en droit. Rankin’s Garage n’avait donc pas d’obligation de diligence envers J.

Le juge Russell Brown, qui a écrit le jugement dissident, s’est dit en désaccord avec l’approche des juges majoritaires et aurait rejeté l’appel. À son avis, le propriétaire du garage aurait pu raisonnablement prévoir que quelqu’un pourrait être blessé en raison de la négligence dont il a fait preuve lorsqu’il a mis des clés dans un véhicule déverrouillé et laissé sans surveillance.

Il s’agissait ici de déterminer quels types de préjudices sont raisonnablement prévisibles. La décision des juges majoritaires a clarifié qu’une entreprise ne sera tenue responsable, dans ce genre de situations, que dans les cas où le vol et la conduite imprudente du véhicule volé auraient dû être prévus. La décision précise aussi qu’un défendeur peut avoir une obligation de diligence, même si le demandeur s’adonne à des activités criminelles.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.