La cause en bref
R. c. Suter
- Motifs de jugement
- Date : le 29 juin 2018
- Référence neutre : 2018 CSC 34
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel de l’Alberta
- Renseignement sur le dossier (37247)
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- Cour d’appel de l’Alberta : jugement rendu en appel
- Cour provinciale de l’Alberta : jugement
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La Cour suprême confirme que refuser de fournir un échantillon d’haleine après avoir causé un accident mortel constitue un crime aussi grave que la conduite en état d’ébriété ayant occasionné la mort.
En mai 2013, Geo Mounsef, âgé de deux ans, a été tué lorsque Richard Alan Suter a foncé avec son véhicule dans la terrasse d’un restaurant où soupait la famille Mounsef. M. Suter se disputait avec sa femme lorsqu’il s’est arrêté devant le restaurant pour se garer. À un certain moment, il a accidentellement appuyé sur l’accélérateur au lieu de freiner et il a embouti la terrasse. Le juge de la peine a plus tard conclu que M. Suter n’avait pas les facultés affaiblies par l’alcool au moment de l’accident.
M. Suter a été arrêté. Il a parlé avec un avocat de l’aide juridique, qui a semé la confusion dans son esprit et qui l’a mal conseillé en lui disant de ne pas fournir un échantillon d’haleine. M. Suter a donc refusé de fournir cet échantillon, bien qu’un policier l’ait informé qu’un tel refus était un crime.
Quelque temps après son arrestation, M. Suter a été enlevé par un groupe de justiciers qui lui ont coupé un pouce à l’aide d’un sécateur. L’attaque était liée au décès de Geo Mounsef.
M. Suter a plaidé coupable à une accusation de refus de fournir un échantillon d’haleine après avoir causé un accident ayant occasionné la mort d’une personne. Cette accusation est passible d’une large fourchette de peines, selon les circonstances et la culpabilité morale du délinquant. La peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité, comme c’est le cas pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, ce qui vise à tenir compte de la gravité du crime et à décourager les gens de refuser de fournir un échantillon d’haleine. En effet, lorsqu’une personne refuse de fournir un tel échantillon, la police, le tribunal, le public et la famille du défunt ne pourront jamais réellement savoir si le conducteur avait les facultés affaiblies ou s’il avait une alcoolémie « supérieure à 80 mg » au moment de l’accident.
Le juge de la peine aurait infligé à M. Suter une peine de plus de trois ans d’emprisonnement, mais, en raison des circonstances, il a réduit la peine à quatre mois d’emprisonnement, assortis d’une interdiction de conduire de trente mois. Selon lui, une peine de quatre mois était appropriée, car M. Suter avait refusé de fournir un échantillon d’haleine parce qu’il avait été mal conseillé par son avocat, ce qui diminuait « de manière fondamentale » sa culpabilité morale. M. Suter et la Couronne ont tous deux fait appel de cette peine. La Cour d’appel a augmenté celle‑ci à 26 mois d’emprisonnement.
S’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, le juge Michael Moldaver a affirmé que la Cour d’appel et le juge de la peine ont commis des erreurs. En portant la peine d’emprisonnement de M. Suter à 26 mois, la Cour d’appel a dans les faits puni M. Suter pour des crimes dont il n’avait pas été accusé (conduite imprudente ou conduite dangereuse causant la mort). De plus, dans son appréciation de l’ensemble de la situation de M. Suter, elle n’a pas pris en considération le fait qu’il avait été attaqué par des justiciers. D’autre part, lorsqu’il a condamné M. Suter à quatre mois d’emprisonnement, le juge de la peine a accordé une trop grande importance au fait que M. Suter n’était pas en état d’ébriété au moment de l’accident et qu’il avait été mal conseillé par un avocat. Selon le juge Moldaver, le juge de la peine avait raison d’affirmer que la peine infligée à M. Suter devait être plus clémente que la peine habituelle. Toutefois, compte tenu des erreurs commises par le juge de la peine et de la gravité du crime, il a estimé qu’une peine d’emprisonnement de quatre mois était trop clémente. Le juge Moldaver a statué qu’une peine de 15 à 18 mois d’emprisonnement aurait été appropriée au moment du plaidoyer. Cependant, M. Suter avait déjà purgé un peu plus de 10 mois et demi de sa peine d’emprisonnement et il avait passé presque 9 mois à attendre la décision de la Cour suprême. Le juge Moldaver a affirmé qu’il ne servirait à rien de renvoyer M. Suter en prison et il a donc réduit sa peine à la « période de détention déjà purgée » (et maintenu l’interdiction de conduire de 30 mois). Cinq juges sont du même avis que lui.
Exprimant son désaccord, le juge Clément Gascon aurait maintenu la peine d’emprisonnement de quatre mois. Le juge Gascon aurait soupesé les faits autrement que ne l’a fait le juge de la peine, mais, selon lui, la peine imposée n’était pas « nettement déraisonnable » (le critère juridique auquel il faut satisfaire pour pouvoir la modifier). Il a affirmé que les circonstances de l’affaire étaient uniques et qu’elles inspiraient particulièrement la sympathie; M. Suter n’était pas en état d’ébriété et il a refusé de fournir l’échantillon d’haleine uniquement parce que c’est ce que son avocat (dont les services étaient fournis par l’État) lui avait expressément conseillé de faire. Sa culpabilité morale était donc très faible. Selon le juge Gascon, le juge de la peine était, de toute façon, le mieux placé pour apprécier ces faits et déterminer la peine appropriée.
Dans cette décision, la Cour s’est penchée pour la première fois sur des modifications apportées en 2008 au Code criminel, modifications qui augmentaient les peines associées au refus de fournir un échantillon d’haleine après un accident où une personne perd la vie ou est blessée. Ces modifications signifiaient que le refus de fournir un échantillon d’haleine entraînerait les mêmes peines que les infractions de conduite avec les facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie « supérieure à 80 mg » ayant occasionné des blessures ou la mort. La décision a fait ressortir qu’une peine devait être représentative à la fois de la gravité du crime et du degré de responsabilité de la personne.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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