La cause en bref

Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec

Les tribunaux ne peuvent obliger des parties à renégocier un contrat, confirme la Cour suprême. Les changements imprévisibles du prix de l’électricité n’obligeaient pas Hydro-Québec à partager les profits tirés de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls.

En 1969, après de nombreuses années de négociations, Hydro-Québec et la Churchill Falls (Labrador) Corporation (qui fait partie de Newfoundland and Labrador Hydro) ont convenu de construire une centrale hydroélectrique sur le fleuve Churchill. Il s’agissait d’un projet énorme et coûteux. Hydro-Québec a assumé la majeure partie des risques financiers du contrat, acceptant d’acheter à prix fixe une grande partie de l’électricité pendant une période de 65 ans -- peu importe si elle en avait besoin ou non --  et de prendre à sa charge tout dépassement des coûts de construction. Cependant, en contrepartie des risques qu’elle prenait, elle obtenait un approvisionnement à long terme d’électricité à faible coût. Pour sa part, la société Churchill Falls disposait ainsi d’une source de revenus stable à long terme, ce qui lui a permis de financer par voie d’emprunts la construction de la centrale, dont la valeur s’établissait à plus de 20 milliards de dollars en 2018.

En 2009, le prix de l’électricité était beaucoup plus élevé qu’il ne l’était 40 ans auparavant. Prenant avantage des faibles tarifs qu’elle payait, Hydro-Québec a vendu à des prix plus élevés de l’électricité à des clients de l’extérieur du Québec. Considérant que cette situation n’était pas juste, la société Churchill Falls a soutenu qu’elle devait obtenir une part des profits. En 2010, quand Hydro-Québec a refusé de renégocier le contrat, la société Churchill Falls a demandé aux tribunaux de l’obliger à le faire.

En droit québécois, les personnes qui concluent un contrat ensemble ont certaines obligations l’une envers l’autre. Selon le Code civil du Québec, chaque partie doit agir de « bonne foi » envers l’autre partie; cela signifie que les parties doivent se conduire honnêtement et ne rien faire qui cause préjudice à une d’elles. Dans le cadre de cette obligation, les parties sont parfois censées collaborer. L’étendue de cette obligation dépend du type de contrat qu’elles ont conclu. Leur obligation est plus grande s’il s’agit d’un contrat « relationnel » plutôt que d’un contrat « transactionnel ». Un contrat relationnel est basé sur des relations collaboratives à long terme, et les risques et les bénéfices d’un tel contrat doivent être répartis entre les parties (comme dans un partenariat). Dans un contrat transactionnel, les risques et les bénéfices dont ont convenu les parties sont énoncés de façon précise. La société Churchill Falls affirmait qu’on était en présence d’un contrat relationnel et qu’Hydro-Québec devait donc partager ses profits. Selon cette dernière, il ne s’agissait pas d’un contrat relationnel et, en conséquence, elle n’avait pas à partager quoi que ce soit.

Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont rendu jugement en faveur d’Hydro-Québec.

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont également donné raison à Hydro-Québec. Ils ont déclaré que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en concluant que le contrat en cause n’était pas un contrat relationnel, et qu’Hydro-Québec n’était pas tenue de renégocier. Le contrat énonçait de nombreux éléments de façon très précise, ce qui démontrait que les deux parties avaient l’intention de suivre le texte explicite de l’entente, et non de se fonder sur l’existence de quelque relation continue. L’obligation de bonne foi ne signifiait pas qu’Hydro-Québec devait renoncer aux bénéfices qu’elle avait négociés, ni qu'elle devait renégocier du seul fait qu’il était survenu des changements imprévisibles dans les prix de l’électricité. Bien que les tribunaux québécois demandent parfois à une partie de faire certains compromis pour permettre de trouver une solution à un litige, aucun tribunal n’a jamais forcé des parties à renégocier les aspects fondamentaux d’un contrat. De plus, il n’est jamais arrivé qu’un tribunal juge que l’obligation de collaborer signifiait qu’une partie devait renoncer à une part de ses profits uniquement parce que ceux de l’autre partie n’étaient pas aussi élevés que les siens. Enfin, tout comme le juge de première instance, les juges majoritaires ont conclu que la société Churchill Falls avait de toute façon présenté sa demande trop tard.

Cette affaire portait sur un contrat à long terme et sur les concepts de bonne foi, d’équité et d’imprévisibilité en droit civil. Les juges majoritaires ont confirmé que les tribunaux ne devraient pas modifier un contrat ou obliger les parties à le renégocier si de telles mesures perturbent l’équilibre dont les parties ont convenu à l’origine.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.