La cause en bref

R. c. Awashish

La Cour suprême confirme qu’il n’est possible de contester des décisions rendues au cours d’un procès criminel qu’après le jugement. Elle souligne que cette règle générale a pour but d’éviter les interruptions du procès et de prévenir les délais.

Mme Awashish a été accusée de conduite avec les facultés affaiblies et de conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à 80 mg. L’accusé a le droit de voir des copies des documents relatifs aux accusations. C’est que l’on appelle la communication de la preuve. La Couronne (la poursuite) a remis des documents à Mme Awashish. Son avocat en a demandé d’autres, qui portent sur l’alcootest utilisé à son endroit, y compris les registres d’entretien et de formation destinés à l’utilisateur. Une juge de la cour provinciale a ordonné à la Couronne de remettre les documents à Mme Awashish.

Dans un procès criminel, il y a habituellement une décision finale qui s’appelle un jugement et qui se traduit par un verdict de culpabilité ou un verdict de non-culpabilité. Mais un juge rendra d’autres décisions, de moindre importance, en cours de route, notamment sur la durée du procès ou les éléments de preuve à admettre. En temps normal, ces décisions secondaires ne peuvent être contestées, sauf dans le cadre d’un appel du jugement de première instance devant une cour supérieure (c’est-à-dire après un verdict de culpabilité ou de non-culpabilité). Cette règle souffre uniquement d’exceptions très limitées.

Dans l’affaire qui nous occupe, par contre, la Couronne a demandé à un juge d’une cour supérieure de contrôler la décision rendue par la juge de la cour provinciale d’ordonner la communication de la preuve avant le jugement de première instance. Elle l’a fait au moyen d’une procédure juridique qui s’appelle le certiorari. Le certiorari (qui se prononce « cerciorari ») désigne le pouvoir d’un tribunal d’annuler la décision d’un autre tribunal en raison d’une erreur flagrante. Il se distingue d’un appel et est rarement accordé lors de procès criminels au Canada.

Il était possible de recourir au certiorari seulement parce que le procès de Mme Awashish a été instruit par la Cour du Québec, une cour provinciale, et non la Cour supérieure. On appelle parfois les cours provinciales et cours territoriales des « tribunaux d’instance inférieure » parce qu’elles tiennent leurs pouvoirs des législatures. Elles ne peuvent instruire tous les mêmes types d’affaires que peuvent instruire les cours supérieures et leurs décisions peuvent être modifiées par ces dernières. Les cours supérieures, en revanche, tiennent leurs pouvoirs de la Constitution. Leurs décisions ne peuvent être modifiées par d’autres tribunaux, sauf en cas d’appel. Les cours supérieures regroupent la plupart des tribunaux de première instance et toutes les cours d’appel provinciales et territoriales. Le nom des cours supérieures de première instance varie selon les provinces; par exemple, la Colombie-Britannique a une « cour suprême » tandis que l’Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont des « cours du Banc de la Reine ».

La Cour supérieure a tranché en faveur de la Couronne et lui a accordé le certiorari (soit annulé l’ordonnance de la juge de la cour provinciale). Elle a convenu avec la Couronne que Mme Awashish n’avait pas démontré pourquoi il y avait lieu d’accueillir la demande de documents supplémentaires. En réponse, Mme Awashish a demandé à la Couronne de lui dire si elle avait en sa possession les documents qu’elle convoitait. Mais la Couronne a refusé de confirmer ou de nier leur existence car, d’après ils n’étaient pas pertinents pour le procès. La juge de la cour provinciale (la même qui a rendu la première ordonnance) a ordonné encore une fois à la Couronne de fournir les renseignements. La Couronne demanda de nouveau à la Cour supérieure d’intervenir. Un autre juge a accueilli une deuxième demande de certiorari, affirmant que les renseignements n’avaient pas à être communiqués sauf si Mme Awashish parvenait à en démontrer la pertinence.

La Cour d’appel a tranché en faveur de Mme Awashish. Elle a dit qu’il n’est possible de recourir au certiorari que dans des situations limitées, comme celles où il risque d’y avoir une atteinte permanente aux droits fondamentaux d’une partie. Le certiorari n’aurait pas dû être accordé parce que la juge de la cour provincial avait le pouvoir de rendre la décision (même si ce n’était pas la bonne).

La Cour suprême tranche en faveur de Mme Awashish à l’unanimité. Selon elle, les parties peuvent utiliser le certiorari en matière criminelle seulement si le juge d’une cour provinciale ou d’une cour territoriale a outrepassé ses pouvoirs (une « erreur de compétence »). À l’instar de la Cour d’appel, elle est d’avis que la juge de la cour provinciale a appliqué les mauvaises règles à la demande de Mme Awashish. Il s’agissait cependant d’une erreur de droit, qui pouvait être corrigée en appel, et non d’une erreur de compétence à corriger au moyen du certiorari. Donc, même si la décision était erronée, il n’était pas possible d’utiliser le certiorari pour la corriger. La Cour ajoute que, si l’on permet aux parties d’interjeter appel de décisions avant la fin du procès, cela engendrera des délais. Voilà pourquoi ce genre d’appel, lequel porte le nom d’« appel interlocutoire », n’est pas autorisé par le Code criminel. Si le certiorari diffère d’un appel, les tribunaux limitent son utilisation pour la même raison : les avocats pourraient s’en servir pour contourner la règle interdisant les appels interlocutoires. La Cour rappelle avoir indiqué clairement que les tribunaux doivent faire mieux pour terminer les procès criminels dans un délai raisonnable. Accorder le certiorari dans des situations comme celle de Mme Awashish irait à l’encontre de cet objectif.

La décision confirme la règle générale voulant qu’il ne convient pas d’interrompre des procès pour trancher des questions accessoires. La Cour fait remarquer qu’il est tout de même possible d’utiliser le certiorari dans certains cas, comme celui où une erreur de droit touche d’autres personnes qui n’auraient pas le droit de porter un jugement en appel. D’après la Cour, si Mme Awashish demande encore des documents, il faut examiner leur pertinence à la lumière de l’arrêt R. c. Gubbins rendu le même jour par la Cour. 

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.