La cause en bref
Haaretz.com c. Goldhar
- Motifs de jugement
- Date : le 6 juin 2018
- Référence neutre : 2018 CSC 28
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (37202)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
- Cour d’appel de l’Ontario : jugement rendu en appel
- Cour supérieure de l’Ontario : ordonnance sur la compétence
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Selon la Cour suprême, les règles actuelles servant à décider où il y a lieu de tenir un procès civil sont suffisamment souples et il n’est pas nécessaire de les adapter à la diffamation en ligne. Il serait plus juste et plus efficace qu’un tribunal israélien instruise la poursuite en diffamation intentée contre un journal de ce pays par un homme d’affaires canadien qui est le propriétaire d’une équipe de soccer israélienne.
Mitchell Goldhar, un homme d’affaires canadien, est le propriétaire d’une équipe de soccer populaire en Israël. Il avait un appartement dans ce pays et s’y rendait quelques fois par année. En 2011, le journal israélien Haaretz a publié un article critiquant sa gestion de l’équipe. L’article a aussi fait référence à son entreprise canadienne et à son style de gestion en général. L’article a été diffusé en ligne et il était possible de le télécharger au Canada et en Israël. Comme M. Goldhar trouvait l’article mensonger et injuste, il a poursuivi Haaretz pour diffamation (libelle diffamatoire ou diffusion de faux renseignements portant atteinte à sa réputation). De 200 à 300 personnes au Canada et environ 70 000 personnes en Israël ont lu l’article.
Il était question dans cette affaire de diffamation en ligne dans deux pays. Quand un litige traverse les frontières, on ne sait pas toujours avec certitude quel tribunal devrait instruire l’affaire et quelles lois devraient s’appliquer. Les tribunaux tranchent ces questions en appliquant les règles du « droit international privé ». Ce n’est pas parce que quelqu’un se pourvoit devant le tribunal d’un endroit que ce tribunal peut instruire l’affaire (ou répond au premier critère juridique appelé « simple reconnaissance de compétence »). Un tribunal peut aussi décider que, même s’il peut instruire l’affaire, il est nettement plus approprié que celle-ci soit jugée ailleurs car ce serait plus équitable et plus efficace (en langue juridique, le test du « forum non conveniens »). Il faut entre autres décider quelles lois devraient s’appliquer (« choix du droit applicable ») pour fixer l’endroit où il convient d’instruire l’affaire.
Les règles de droit international privé ont entre autres pour objet d’empêcher les gens de choisir le lieu dont les lois leur sont le plus favorables (ou le plus défavorables à leurs adversaires).
En l’espèce, M. Goldhar a intenté sa poursuite en Ontario, mais Haaretz a affirmé qu’elle devrait être instruite en Israël. Haaretz a déposé une requête, disant que les tribunaux ontariens n’avaient pas compétence et que, même s’ils avaient compétence, il convenait davantage que les tribunaux israéliens instruisent l’affaire. Un juge ontarien a tranché en faveur de M. Goldhar sur la question, et la Cour d’appel s’est rangée à son avis. Haaretz a fait appel à la Cour suprême.
La juge Suzanne Côté a dit qu’il était nettement plus approprié d’instruire l’affaire en Israël. Malgré les nombreux changements technologiques au fil des ans, elle affirme que les règles actuelles du droit international privé sont assez souples pour relever les défis que présente l’augmentation des publications en ligne. Les tribunaux doivent garder à l’esprit les principes fondamentaux de stabilité et d’équité lorsqu’ils appliquent les règles. Toujours selon la juge Côté, les tribunaux ontariens ont compétence d’après les règles parce que l’article a été lu dans la province. (En droit, il y a diffamation lorsque les propos mensongers sont « diffusés », c’est-à-dire lorsqu’ils sont lus ou téléchargés ne serait-ce que par une seule personne.) Elle a toutefois dit qu’il était nettement plus approprié que les tribunaux israéliens instruisent l’affaire. Un procès tenu en Israël serait plus commode, efficace et juste. M. Goldhar était bien connu dans ce pays et son recours ne visait pas uniquement sa réputation au Canada. De plus, comme Haaretz et la plupart de ses témoins se trouvaient en Israël, la tenue d’un procès en Ontario serait injuste et inefficace pour eux. Deux juges ont partagé l’avis de la juge Côté.
Dans des motifs distincts, la juge Andromache Karakatsanis a convenu avec la juge Côté que les tribunaux ontariens ne devraient pas statuer sur le recours de M. Goldhar. Elle s’est dite en désaccord avec la juge Côté sur certains points, mais cela n’a pas eu d’incidence sur sa conclusion générale.
La juge Rosalie Silberman Abella s’est dite elle aussi d’avis que la poursuite de M. Goldhar devrait être jugée en Israël. Mais elle a fait remarquer qu’en raison des défis particuliers présentés par la diffamation sur Internet, où tout ce que ça prend pour qu’il y ait diffamation, c’est un téléchargement, il est temps de modifier l’approche. Elle a proposé une nouvelle façon d’aborder à la fois la simple reconnaissance de compétence et le choix du droit applicable dans l’analyse du forum non conveniens. Cela amènerait les tribunaux à se concentrer sur le lieu où la personne qui poursuit a subi la plus grande atteinte à sa réputation. Cette approche correspondrait mieux à la réalité sur Internet, ferait ressortir l’importance de la réputation et établirait un meilleur équilibre entre les préoccupations relatives à la liberté d’expression et celles concernant l’atteinte à la réputation.
Le juge Richard Wagner (qui n’était pas encore juge en chef quand l’appel a été entendu) était lui aussi d’accord pour dire que les tribunaux israéliens devraient instruire l’affaire. Il a toutefois dit qu’une modification mineure devrait être apportée à l’analyse du forum non conveniens. Tout comme la juge Abella, il a dit que le choix du droit applicable dans les affaires de diffamation sur Internet devrait reposer sur le lieu de l’atteinte la plus grave à la réputation, et non sur le lieu de la diffusion. (Il ne croyait pas toutefois qu’il fallait modifier les règles sur la simple reconnaissance de compétence.) Après avoir utilisé cette approche, il a décidé qu’Israël était un lieu nettement plus approprié que l’Ontario pour l’instruction de l’affaire.
La juge en chef à l’époque, Beverley McLachlin, ainsi que les juges Michael Moldaver et Clément Gascon, dissidents, ont affirmé que les tribunaux ontariens devraient instruire l’affaire. Ils ont convenu avec la juge Côté qu’il n’était pas nécessaire d’adapter les règles actuelles à la diffamation en ligne. Ils ont toutefois considéré que la juge Côté n’appliquait pas correctement les règles du forum non conveniens en l’espèce. Ces règles obligeaient Haaretz à atteindre un seuil élevé pour démontrer qu’il y a lieu d’instruire l’affaire en Israël. Quand les juges dissidents ont appliqué les règles aux faits, ils ont conclu qu’Israël n’était pas un ressort nettement plus approprié que l’Ontario pour l’instruction de l’affaire. Ils ont souligné que M. Goldhar se souciait avant tout de sa réputation au Canada. Ils ont dit que le droit ontarien devrait s’appliquer, et qu’il appartient aux tribunaux ontariens de l’appliquer.
La présente affaire portait sur la manière dont les tribunaux devraient statuer sur les recours en diffamation à l’ère d’Internet, où un document est « diffusé » à plus d’un endroit. La plupart des juges ont affirmé que les règles actuelles fonctionnaient et ils étaient d’avis de ne pas les changer, mais ils sont parvenus à des conclusions différentes quand ils les ont appliquées. Au final, la majorité des juges s’entendaient pour dire qu’il serait nettement plus approprié d’instruire la poursuite de M. Goldhar en Israël. La Cour suprême n’a pas décidé si l’article d’Haaretz était réellement diffamatoire; elle a seulement décidé que les tribunaux israéliens étaient les mieux placés pour en juger.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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