La cause en bref

Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale)

La Cour suprême statue qu’une loi québécoise différant l’accès à l’équité salariale des femmes travaillant dans des milieux à prédominance féminine porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par la Charte, mais refuse de l’invalider.

En 1996, le Québec a adopté une loi qui obligeait tous les employeurs comptant dix salariés ou plus à faire en sorte que les femmes obtiennent l’équité salariale au plus tard en 2001. L’équité salariale s’entend d’un salaire égal pour un travail de valeur égale. La plupart des employeurs devaient repérer les emplois occupés principalement par des femmes et comparer les salaires correspondants à ceux versés pour des emplois occupés principalement par des hommes dans le même lieu de travail. Un problème demeurait toutefois : on ne pouvait déterminer les ajustements salariaux requis dans le cas des femmes qui travaillaient dans des secteurs dépourvus d’emplois à prédominance masculine permettant la comparaison.

Évaluer l’équité salariale dans ces milieux de travail était difficile. Le Québec a donc accordé à sa Commission de l’équité salariale un délai pour trouver une solution. Les femmes qui travaillaient dans des secteurs à prédominance féminine ont donc attendu six ans de plus que celles qui travaillaient dans des secteurs à plus grande mixité pour obtenir l’équité salariale. Des syndicats ont fait valoir devant les tribunaux que le délai était discriminatoire vis-à-vis des femmes en cause.

Le juge de première instance a conclu que le délai ne portait pas atteinte aux droits des femmes à l’égalité, car la distinction établie par l’État n’était pas fondée sur le sexe (un motif de discrimination énuméré dans la Charte canadienne des droits et libertés), mais tenait plutôt à l’absence de groupe de comparaison masculin. La Cour d’appel du Québec lui a donné raison.

La juge Rosalie Silberman Abella, au nom des juges majoritaires de la Cour sur ce point, a conclu à la violation des droits des femmes à l’égalité. Selon elle, le délai s’appliquait à un groupe qui avait fait l’objet d’une discrimination systémique fondée sur l’idée que le « travail des femmes » a une valeur moindre que le « travail des hommes ». Différer l’accès de ce groupe de femmes à l’équité salariale était discriminatoire parce que c’était maintenir un désavantage historique sur le marché du travail. Les motifs invoqués par l’État pour justifier le délai n’étaient pas utiles pour décider s’il y avait eu discrimination, mais ils l’étaient pour décider si le délai était justifié. La juge Abella et trois autres juges ont conclu que le délai était justifié, car il visait à réaliser l’objectif important de trouver une bonne solution au problème de l’iniquité salariale. Cet avantage à long terme l’emportait sur le préjudice à court terme.

Avec le concours de trois autres juges, la juge Suzanne Côté a estimé qu’il n’y avait pas eu violation des droits des femmes à l’égalité. Selon elle, la distinction n’était pas fondée sur le sexe, mais bien sur la situation unique dans laquelle se trouvaient les femmes, à savoir qu’elles travaillaient à des endroits où il n’y avait pas de catégories d’emplois à prédominance masculine aux fins de comparaison. La loi n’était pas discriminatoire vis-à-vis de ce groupe de femmes. Elle leur était en fait favorable en ce qu’elle corrigeait une situation où un salaire inférieur leur était versé à cause de la discrimination systémique. Le Québec a été la première province à s’attaquer à ce volet difficile de l’équité salariale; on devait l’encourager, non le punir.

La juge en chef Beverley McLachlin (qui siégeait à ce titre lors de l’audition de l’appel) a convenu avec la juge Abella qu’il y avait eu atteinte aux droits des femmes à l’égalité. Elle a cependant estimé que cette atteinte était justifiée sur le plan constitutionnel. Elle aurait invalidé certaines parties de la loi.

Dans cette affaire, l’arrêt a été rendu le même jour que celui dans Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux dans lequel la Cour a annulé d’autres dispositions québécoises sur l’équité salariale.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.