La cause en bref

Eurobank Ergasias S.A. c. Bombardier inc.

La Cour suprême confirme qu’une banque canadienne doit refuser de payer le bénéficiaire d’une lettre de crédit en raison d’une fraude.

Dans cet appel, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si une banque canadienne devait refuser de payer le bénéficiaire d’une lettre de crédit en raison de la conduite frauduleuse d’un tiers, conduite qui était attribuable au bénéficiaire.

En 1998, Bombardier inc., une entreprise d’aéronautique canadienne basée à Montréal, a conclu un contrat d’approvisionnement avec le ministère de la Défense de la Grèce (MDG) pour la vente de 10 avions de lutte contre les incendies. Les parties ont aussi conclu un second contrat aux termes duquel Bombardier acceptait de sous-traiter à des entreprises grecques une partie des travaux liés à l’approvisionnement des avions. Ce second contrat prévoyait que si Bombardier ne s’était pas acquittée de ses obligations de sous-traitance à l’expiration d’une période de 10 ans, elle serait tenue de verser au MDG une certaine somme d’argent en fonction du contrat principal.

Afin de garantir le paiement de la somme que Bombardier pourrait éventuellement devoir au MDG en vertu du second contrat, la banque grecque de l’époque (maintenant Eurobank Ergasias S.A., ou Eurobank) a émis une lettre de crédit garantissant qu’elle effectuerait le paiement si Bombardier ne le faisait pas (la lettre de garantie). Eurobank a également obtenu de la Banque Nationale du Canada une lettre de crédit afin de s’assurer d’être remboursée des sommes qu’elle serait tenue de verser au MDG en vertu de la lettre de garantie si ce dernier affirmait que Bombardier ne s’était pas acquittée de ses obligations aux termes du second contrat (la lettre de contre-garantie). Bref, ces lettres produiraient les effets suivants : si le MDG demandait à Eurobank d’honorer la lettre de garantie, Eurobank aurait alors le droit d’exiger d’être remboursée par la Banque Nationale en vertu de la lettre de contre-garantie.

Un différend est finalement survenu entre le MDG et Bombardier concernant les obligations de sous-traitance de cette dernière. Le MDG a exigé d’être payé par Eurobank en vertu de la lettre de garantie. Bombardier a répliqué en demandant à la Cour supérieure du Québec de rendre une ordonnance interdisant à la Banque Nationale d’honorer une éventuelle demande de remboursement d’Eurobank en vertu de la lettre de contre-garantie. Bombardier a fait valoir que le MDG, un tiers à la lettre de contre-garantie, avait commis une fraude en exigeant le paiement avant que le différend n’ait été résolu par la procédure d’arbitrage prévue et que, puisque Eurobank avait connaissance de la fraude et y avait participé, la Banque Nationale devait être dispensée de l’obligation de rembourser Eurobank par application de l’« exception de fraude ». En droit canadien, les banques ont l’obligation quasi absolue de payer le bénéficiaire d’une lettre de crédit sur présentation d’une demande valide, sauf lorsque le bénéficiaire a commis une fraude et que celle-ci est portée à l’attention de la banque avant le paiement. Dans cette affaire, Bombardier a plaidé qu’en raison de la conduite frauduleuse du MDG, la demande de paiement présentée par Eurobank en vertu de la lettre de contre-garantie était, par extension, également frauduleuse.

La Cour supérieure a rejeté sur la base de l’exception de fraude la demande de paiement d’Eurobank fondée sur la lettre de contre-garantie. Elle a jugé que la manière dont le MDG avait obtenu paiement en vertu de la lettre de garantie était frauduleuse et que la conduite d’Eurobank avait elle-même été frauduleuse, étant donné que son paiement au MDG résultait d’une fraude dont elle avait connaissance. La Cour supérieure a en conséquence conclu que la Banque Nationale n’était pas tenue de rembourser Eurobank. Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont dit être du même avis et ont rejeté l’appel. Eurobank a interjeté appel à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a rejeté l’appel.

L’exception de fraude s’applique à la demande de paiement présentée par Eurobank en vertu de la lettre de contre-garantie.

Rédigeant les motifs majoritaires, le juge Kasirer a expliqué que, comme Eurobank, en tant que bénéficiaire de la lettre de contre-garantie, était au courant de la fraude commise par le MDG et y avait participé, cette fraude pouvait lui être imputée comme s’il s’agissait de la sienne. L’exigence requérant qu’une fraude ait été commise par le bénéficiaire pour que l’exception de fraude s’applique était donc remplie. En outre, il ne faisait aucun doute que la fraude d’Eurobank avait été portée à l’attention de la Banque Nationale en tant qu’émettrice de la lettre de contre-garantie. En conséquence, le juge Kasirer a conclu que le juge de première instance avait eu raison d’interdire à la Banque Nationale de verser à Eurobank toute somme d’argent en vertu de la lettre de contre-garantie, et que les juges majoritaires de la Cour d’appel n’avaient pas commis d’erreur en confirmant cette décision.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.