La cause en bref

Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex

La Cour suprême clarifie l’approche à adopter en matière de révision judiciaire lorsque la loi prévoit un droit d’appel limité aux questions de droit.

L’appel portait sur l’approche à adopter à l’égard de la révision judiciaire (recours aussi appelé contrôle judiciaire) lorsqu’il existe un droit d’appel limité prévu par la loi. Il portait aussi sur la question de savoir s’il avait été raisonnable pour le Tribunal d’appel en matière de permis de l’Ontario (Tribunal) de refuser la demande d’indemnités de l’assurée concernée au motif que la demande était prescrite, c’est-à-dire qu’elle avait été présentée en dehors du délai prévu.

Madame Ummugulsum Yatar a été blessée lors d’un accident de voiture en Ontario en 2010. Son assureur, TD Assurance Meloche Monnex, lui a initialement versé les indemnités auxquelles elle avait droit en vertu du régime légal sur les assurances en Ontario. Cependant, en janvier 2011, l’assureur a cessé de lui verser ces indemnités parce qu’elle avait omis de fournir un certificat d’invalidité dûment rempli. Ses indemnités de remplacement de revenu ont été brièvement rétablies en février, mais elles lui ont été refusées encore en septembre de la même année.

Madame Yatar a contesté ce refus devant le Tribunal, l’organisme administratif auquel le gouvernement provincial a confié la responsabilité de régler, entre autres, les différends concernant l’admissibilité des victimes d’accident automobile aux indemnités prévues par le régime légal sur les assurances dans la province. Le Tribunal a rejeté la requête de Mme Yatar parce qu’elle avait été déposée trop tard. Madame Yatar a par la suite demandé au Tribunal de réexaminer sa décision, mais cette demande a également été rejetée (la décision sur le réexamen).

Madame Yatar a décidé de faire appel de la décision sur le réexamen devant la Cour divisionnaire, une division de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. En règle générale, un appel est formé par une partie qui est insatisfaite de la décision d’une cour de justice et qui demande à une cour plus élevée de revoir cette décision. Toutefois, la loi peut aussi prévoir un droit d’appel des décisions rendues par un organisme administratif tel le Tribunal : on parle alors d’un « droit d’appel prévu par la loi ». Conformément à la loi qui régit le Tribunal, Mme Yatar avait le droit d’interjeter appel de la décision sur le réexamen, mais ce droit était limité aux erreurs qu’aurait commise le Tribunal sur des questions de droit. Alors que les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable.

En même temps que son appel, Mme Yatar a présenté une requête en révision judiciaire devant la Cour divisionnaire. La révision judiciaire diffère d’un appel. Il s’agit d’un processus par lequel les cours de justice contrôlent les décisions des organismes administratifs afin de s’assurer qu’elles respectent les règles de l’équité procédurale applicables et qu’elles sont raisonnables, c’est-à-dire qu’elles sont sensées à la lumière du droit et des faits de l’affaire. La requête en révision judiciaire de Mme Yatar soulevait des questions de fait ou mixtes de fait et de droit. Ces questions concernent l’application du droit aux faits d’une affaire.

La Cour divisionnaire a rejeté l’appel de Mme Yatar, concluant que cette dernière n’avait pas démontré que le Tribunal avait commis une erreur de droit dans la décision sur le réexamen. Elle a aussi rejeté sa requête en révision judiciaire, déclarant qu’il n’existait aucune circonstance « exceptionnelle » justifiant une révision judiciaire dans cette affaire.

Madame Yatar a fait appel du rejet de sa requête en révision judiciaire devant la Cour d’appel de l’Ontario. Celle-ci a rejeté l’appel. À son avis, il y a ouverture à la révision judiciaire seulement dans de « rares » cas, compte tenu du régime légal applicable au règlement des différends en cause, y compris le droit de demander le réexamen des décisions du Tribunal ainsi que le droit d’appel prévu par la loi sur la base de questions de droit. La Cour d’appel a conclu que le législateur avait eu l’intention de restreindre le recours aux tribunaux en ce qui a trait aux autres questions que peut soulever la décision administrative. Madame Yatar en a appelé à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a accueilli l’appel.

Madame Yatar pouvait présenter un recours en révision judiciaire à l’égard de questions non visées par le droit d’appel prévu par la loi.

Rédigeant les motifs unanimes de la Cour, le juge Rowe a conclu qu’un droit d’appel ne fait pas obstacle à une requête en révision judiciaire à l’égard de questions qui ne sont pas visées par l’appel. Comme l’a expliqué le juge Rowe, lorsque la loi prévoit un droit d’appel limité aux questions de droit, la révision judiciaire constitue un recours possible en ce qui a trait aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.

Le juge Rowe a statué que les cours inférieures avaient commis une erreur en concluant que c’est seulement dans des cas rares ou exceptionnels qu’il peut y avoir révision judiciaire lorsqu’il existe un droit d’appel limité. Le droit d’appel limité aux pures questions de droit ne reflète pas une intention du législateur de restreindre le recours aux tribunaux à l’égard d’autres questions découlant des décisions administratives du Tribunal. Il dénote seulement l’intention d’assujettir à la norme de la décision correcte les décisions du Tribunal en ce qui concerne les questions de droit, et le fait de procéder à une révision judiciaire à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit respecte pleinement les choix du législateur en matière d’organisation institutionnelle.

Enfin, le juge Rowe a conclu que la décision du Tribunal sur le réexamen était déraisonnable, notamment parce que celui-ci avait omis de considérer l’effet du rétablissement des indemnités de remplacement de revenu entre février et septembre 2011 sur la validité du refus initial. En conséquence, le juge Rowe a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au Tribunal pour réexamen.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.