La cause en bref

R. c. Hanan

La Cour suprême annule des déclarations de culpabilité pour homicide involontaire coupable et d’autres infractions liées aux armes à feu en raison de délais déraisonnables dans la tenue du procès.

Le 24 décembre 2015, M. Dia ‘Eddin Hanan a été accusé de crimes liés au fait que deux hommes avaient été abattus dans l’entrée de son domicile. Son procès devant jury devait débuter en novembre 2018, à Windsor en Ontario. Cependant, la veille du procès, l’avocat du ministère public a annoncé que son seul témoin oculaire refusait de témoigner, en plus de communiquer de nouveaux éléments de preuve. Cette tournure des événements risquait d’entraîner la suspension des procédures. Afin d’éviter un retard, l’accusé a offert de subir son procès devant juge seul, sans jury. Le ministère public a refusé. Le juge a proposé de déplacer la date du procès en juin 2019, mais l’avocat de l’accusé n’était pas disponible à ce moment-là. Le procès a ultimement été reporté à la fin d’octobre 2019, soit pratiquement un an après la date prévue initialement. En raison de ce délai, M. Hanan a demandé au juge de mettre un terme au procès, affirmant que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, que lui garantit l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés, avait été violé. Ce type de demande est ce qu’on appelle une requête en arrêt des procédures pour cause de délai déraisonnable. L’arrêt des procédures met fin au procès sans qu’il y ait acquittement ou déclaration de culpabilité.

Dans un jugement précédent de 2016, sans lien avec la présente affaire, R. c. Jordan, la Cour suprême a établi une présomption selon laquelle il y a violation du droit d’un accusé d’être jugé dans un délai raisonnable garanti par l’alinéa 11b) de la Charte lorsque le temps écoulé entre le dépôt des accusations et la fin du procès devant une cour supérieure dépasse le plafond de 30 mois. Les affaires dans lesquelles les accusations ont été portées avant l’arrêt Jordan sont également assujetties à ce nouveau cadre procédural, mais une « mesure transitoire exceptionnelle » peut s’appliquer si le ministère public convainc le tribunal que les parties étaient justifiées de s’appuyer sur l’état du droit qui existait avant Jordan. L’exception tient compte du fait que la conduite des parties ne peut pas être jugée d’une manière stricte par rapport au plafond nouvellement établi dans Jordan dont elles n’avaient pas connaissance. Dans le cas de M. Hanan, comme les accusations ont été portées contre lui avant que l’affaire Jordan ne soit décidée en 2016, son dossier entrait dans cette catégorie de causes transitoires.

Le juge du procès a rejeté la demande d’arrêt des procédures de M. Hanan. Il a déterminé que 47,5 mois s’étaient écoulés entre le dépôt des accusations et la fin du procès. Il en a soustrait certains délais attribuables à la défense, statuant que le délai net s’établissait à environ 35 mois. Il a conclu que, même si ce délai dépassait le plafond de 30 mois établi dans Jordan, il était justifié puisque les parties s’étaient raisonnablement fondées sur le droit tel qu’il existait avant que cette affaire n’ait été décidée.

Monsieur Hanan a finalement été jugé et déclaré coupable d’homicide involontaire coupable et d’autres infractions liées aux armes à feu. Ce dernier a interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, où deux des trois juges qui ont entendu son appel ont rejeté ses arguments et confirmé les déclarations de culpabilité. Monsieur Hanan a ensuite fait appel de plein droit devant la Cour suprême du Canada. Un appel « de plein droit » est possible dans certaines affaires criminelles lorsqu’un juge de la cour d’appel est dissident sur un point de droit, comme c’était le cas dans la présente affaire. Dans un tel cas, il n’est pas nécessaire de demander la permission de la Cour suprême pour qu’elle entende la cause. L’appelant n’a qu’à déposer un avis d’appel.

La Cour suprême a accueilli l’appel. Le jugement a été rendu oralement par la juge Côté à la fin de l’audience et précisait que des motifs écrits suivraient.

Le délai était déraisonnable et aucune mesure transitoire exceptionnelle ne s’appliquait.

Rédigeant le jugement unanime de la Cour, les juges Côté et Rowe ont statué dans leurs motifs que le juge du procès avait fait erreur en décidant qu’une mesure transitoire exceptionnelle s’appliquait dans le présent cas. Le délai de 35 mois était déraisonnable et contrevenait à l’alinéa 11b) de la Charte. Ils ont conclu que les parties ne s’étaient pas dans les faits fondées sur l’état du droit avant l’arrêt Jordan, puisqu’elles avaient consciemment prévu au départ la tenue d’un procès respectant le plafond de 30 mois requis par cette décision.

De plus, les parties avaient eu amplement de temps pour s’adapter au cadre établi dans Jordan. Le délai était attribuable au refus du ministère public de consentir à la tenue d’un procès devant juge seul, et ce, malgré le fait qu’il avait été averti des conséquences possibles du délai, et le fait que la décision dans l’affaire Jordan avait été rendue près de deux ans et demi auparavant. Comme l’ont affirmé les juges, « [n]’eût été la décision du ministère public, le procès se serait tenu en deçà du plafond ».

Les juges Côté et Rowe ont conclu qu’aucune mesure transitoire ne s’appliquait et que, par conséquent, le délai de près de 35 mois était déraisonnable et contrevenait à l’alinéa 11b) de la Charte. Ils ont accueilli l’appel, écarté les déclarations de culpabilité et ordonné l’arrêt des procédures.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.