La cause en bref

R. c. Bertrand Marchand

La Cour suprême confirme que les peines minimales obligatoires pour leurre d’enfants sont inconstitutionnelles.

Le paragraphe 172.1(1) du Code criminel énonce l’infraction de leurre d’enfants. Cette infraction est commise lorsqu’un adulte utilise un moyen de télécommunication pour cibler un enfant, ou une personne qu’il croit être un enfant, afin de commettre contre cet enfant une autre infraction, par exemple l’exploitation sexuelle, l’agression sexuelle, l’inceste et la pornographie juvénile. L’infraction de leurre d’enfants est une infraction mixte, ce qui signifie que le procureur de la Couronne peut choisir de poursuivre le contrevenant soit par voie de mise en accusation (une infraction plus grave) soit par procédure sommaire (une infraction moins grave). La peine minimale obligatoire pour leurre d’enfants est un emprisonnement d’un an si le contrevenant est déclaré coupable par voie de mise en accusation, et un emprisonnement de six mois s’il est déclaré coupable par procédure sommaire.

Dans la première affaire concernée, M. Maxime Bertrand Marchand a plaidé coupable à un chef d’accusation de contacts sexuels et à un chef d’accusation de leurre d’enfants. Il a rencontré la victime en personne en 2013 alors qu’il avait 22 ans et la victime, 13. Au cours des deux années suivantes, ils ont été en contact sur les médias sociaux, se sont rencontrés en personne et ont eu des rapports sexuels illégaux à quatre reprises. À l’étape de la détermination de la peine, M. Bertrand Marchand a contesté la peine minimale obligatoire d’emprisonnement d’un an prévue pour les personnes déclarées coupables de l’acte criminel de leurre d’enfants, soutenant qu’elle était incompatible avec l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, disposition qui protège les gens contre les peines cruelles et inusitées. La juge lui a donné raison et a conclu que la peine minimale obligatoire d’un an serait exagérément disproportionnée à la peine de cinq mois d’incarcération qu’elle lui infligeait et qui devait être purgée en même temps que la peine qui lui était imposée pour contacts sexuels. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé la sentence prononcée par la juge, ainsi que la conclusion de cette dernière selon laquelle la peine minimale obligatoire était inconstitutionnelle. En appel devant la Cour suprême du Canada, la Couronne a demandé à la Cour de remplacer la peine de cinq mois d’emprisonnement infligée à M. Bertrand Marchand par une peine de 12 mois d’emprisonnement. Elle a aussi demandé à la Cour de confirmer la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire d’un an.

Dans une affaire distincte, H.V., dont le nom ne peut être révélé en raison d’une ordonnance de non-publication visant à protéger la victime, a plaidé coupable à un chef d’accusation de leurre d’enfants en raison de messages textes à caractère sexuel envoyés à la victime pendant une période de 10 jours en 2017. Il a contesté la peine minimale obligatoire de six mois d’incarcération prévue pour l’infraction de leurre d’enfants punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, plaidant qu’elle violait l’article 12 de la Charte. Le juge de la Cour du Québec lui a donné raison, et il lui a plutôt infligé une peine de deux ans de probation et de 150 heures de travaux communautaires. En appel, la Cour supérieure a modifié la peine et l’a fixée à quatre mois d’emprisonnement. Elle a en outre reconnu que, bien que la peine minimale obligatoire ne soit pas exagérément disproportionnée à la peine infligée à H.V., elle le serait dans d’autres situations raisonnablement prévisibles. La Cour d’appel a confirmé cette décision. En appel devant la Cour suprême, la Couronne n’a pas contesté la peine infligée à H.V., mais elle a demandé à la Cour de confirmer la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire de six mois.

La Cour suprême a accueilli en partie l’appel de la Couronne dans le cas de M. Bertrand Marchand, et elle l’a rejeté dans le cas de H.V.

Les peines minimales obligatoires sont exagérément disproportionnées dans diverses situations prévisibles.  

Rédigeant les motifs de jugement des juges majoritaires, la juge Martin est arrivée à la même conclusion que les tribunaux inférieurs dans les deux affaires, soit que les peines minimales obligatoires pour leurre d’enfants prescrites aux alinéas 172.1a) et b) du Code sont incompatibles avec l’article 12 de la Charte. Comme elle l’a expliqué, l’invalidation des peines minimales obligatoires ne signifie pas que le leurre d’enfants est une infraction moins grave. Dans certains cas, la peine appropriée pour leurre d’enfants sera un emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à la période prévue par les peines minimales obligatoires inconstitutionnelles. Cela dit, la juge Martin a souligné que « [l]es périodes obligatoires d’incarcération s’appliquent à une gamme de comportements si exceptionnellement vaste que des peines exagérément disproportionnées sont infligées dans des scénarios raisonnablement prévisibles ». Elle a rejeté les deux appels sur cette question.

Toutefois, la juge Martin a accueilli l’appel de la Couronne concernant la durée de la peine infligée à M. Bertrand Marchand. À son avis, la première juge a minimisé le préjudice causé à la victime en omettant de reconnaître qu’il y avait eu manipulation psychologique et en sous-estimant les actes de M. Bertrand Marchand, ce qui a eu pour effet de minimiser le caractère répréhensible de l’infraction de leurre et les préjudices distincts qu’elle cause. Pour ces raisons, la juge Martin a haussé de cinq mois à un an la peine d’emprisonnement, et elle a indiqué que cette peine devrait être purgée après celle qui lui a été infligée pour contacts sexuels plutôt qu’en même temps que celle-ci.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.