La cause en bref

Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée

La Cour suprême rejette le pourvoi de deux présidents d’entreprises ayant manqué à leur devoir contractuel de bonne foi.

En 2002, messieurs Antoine Ponce et Daniel Riopel sont devenus présidents de trois entreprises québécoises dans le domaine des assurances regroupées sous la dénomination « Le Groupe Excellence ». Une « Entente des présidents » a été conclue à cet effet entre les présidents et les actionnaires majoritaires des entreprises, messieurs Michel Rhéaume et André Beaulne. L’Entente accordait aux présidents d’importants avantages, y compris une rémunération incitative. Outre ces avantages, l’Entente concrétisait une relation d’affaires entre les parties, fondée sur leur engagement à œuvrer vers un but commun, à savoir le succès du Groupe Excellence, même dans la perspective d’une vente éventuelle.   

En 2005, alors que l’Entente était toujours en vigueur, les présidents ont appris qu’un tiers, l’Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., était intéressée à acquérir les entreprises. Plutôt que d’en informer les actionnaires, les présidents ont décidé d’acheter eux-mêmes la totalité des intérêts des actionnaires, puis de les revendre au tiers, réalisant ainsi un profit substantiel.  

Les actionnaires reprochent aux présidents de ne pas avoir divulgué l’intérêt manifesté par le tiers pour acquérir les entreprises, les privant ainsi de cette opportunité d’affaires. Ils prétendent que les présidents ont manqué à leur obligation d’exécuter l’Entente conformément aux exigences de la bonne foi. De leur côté, les présidents prétendent que la loyauté contractuelle n’exigeait pas qu’ils subordonnent leurs intérêts à ceux des actionnaires.

En droit civil québécois, la bonne foi contractuelle est une obligation implicite qui découle de la combinaison des articles 1375 et 1434 du Code civil du Québec (le Code). L’article 1375 stipule que « [l]a bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction ». Pour sa part, l’article 1434 oblige ceux qui ont valablement formé un contrat « pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi ».

Le juge de la Cour supérieure du Québec a donné raison aux actionnaires. Il a déterminé que les présidents s’étaient servis de leurs rôles pour obtenir des renseignements pour leur propre bénéfice. Ce faisant, ils ont violé leurs devoirs d’honnêteté et de loyauté dus au Groupe Excellence en leur qualité d’administrateurs des entreprises, devoirs qui pouvaient être étendus aux actionnaires en raison de l’Entente. Le juge a ordonné aux présidents de verser aux actionnaires environ 12 millions de dollars, une somme correspondant aux profits réalisés lors de la revente du groupe au tiers.   

Les présidents ont porté cette décision en appel devant la Cour d’appel du Québec, laquelle a confirmé les conclusions du premier juge. Elle a toutefois précisé que les obligations non respectées par les présidents, soit l’obligation d’agir de bonne foi et l’obligation de renseignement, étaient seulement de nature contractuelle découlant de l’Entente. Les présidents ont interjeté appel devant la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a rejeté le pourvoi.

La non-divulgation par les présidents de l’intérêt du tiers pour l’acquisition du groupe était fautive.

Rédigeant la décision unanime de la Cour, le juge Kasirer a déterminé que l’omission des présidents d’informer les actionnaires de l’intérêt du tiers à acquérir le groupe constituait un manquement aux exigences de la bonne foi. Ils ont contrevenu à la loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi qui constitue une obligation implicite du contrat par la combinaison des articles 1434 et 1375 du Code. Bien que les présidents ne fussent pas tenus de subordonner leurs intérêts à ceux des actionnaires, les exigences de la bonne foi dans l’exécution de l’Entente incluaient pour les présidents un devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt du tiers.

Le juge Kasirer a ajouté que l’Entente emportait aussi une obligation implicite de renseignement exigeant des présidents qu’ils communiquent aux actionnaires toute information pertinente à la prise d’une décision éclairée quant à la vente de leurs actions. Il a précisé que cette obligation implicite découlait de la nature de l’Entente, laquelle reflétait la volonté présumée des parties, suivant l’article 1474 du Code. En somme, l’Entente visait à « formaliser une relation d’affaires mutuellement avantageuse entre les [présidents] et les actionnaires ».

Les présidents n’ayant pas démontré d’erreur manifeste dans la conclusion du premier juge selon laquelle le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits réalisés par les présidents, le juge Kasirer n’est pas intervenu dans l’évaluation des dommages-intérêts à verser aux actionnaires.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.