La cause en bref

Sharp c. Autorité des marchés financiers

La Cour suprême rejette les appels de quatre résidents de la Colombie-Britannique accusés par une autorité financière québécoise d’avoir manipulé le cours des actions d’une société.

Cette affaire concernait la question de savoir si un tribunal administratif québécois avait compétence sur des résidents de l’extérieur de la province accusés d’avoir frauduleusement manipulé le cours des actions d’une société ayant des liens avec le Québec.

En 2017, l’Autorité des marchés financiers, un organisme administratif qui régit le secteur financier au Québec, a intenté une action devant le Tribunal administratif des marchés financiers, un tribunal administratif québécois. Elle alléguait que quatre résidents de la Colombie-Britannique (les défendeurs) avaient participé à un stratagème transnational de gonflage et de largage de titres (communément appelé en anglais « pump-and-dump scheme ») et que, ce faisant, ils avaient contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, une loi visant à protéger l’intérêt public en ce qui a trait au marché des valeurs mobilières. Dans un stratagème de ce genre, les promoteurs augmentent le prix d’une action en publiant des déclarations fausses ou trompeuses et réalisent ensuite un profit en vendant les actions qu’ils détiennent à un prix beaucoup plus élevé. Dans ce cas-ci, les défendeurs auraient agi de concert pour acquérir les actions d’une société fictive, donner à celle-ci une apparence légitime, faire la promotion de ses activités, vendre ses actions à profit et répartir ce profit entre eux.

Même si les défendeurs résidaient à l’extérieur du Québec, l’Autorité des marchés financiers a fait valoir que leur stratagème présentait suffisamment de liens avec la province pour appliquer aux défendeurs le régime québécois de réglementation des valeurs mobilières : la société fictive était une émettrice assujettie du Québec ayant une adresse d’affaires à Montréal; son dirigeant résidait au Québec lors de la mise en place du stratagème; les résidents du Québec avaient accès aux activités promotionnelles de la société; et, en fin de compte, des investisseurs du Québec avaient perdu de l’argent. Les défendeurs ont contesté l’action, affirmant que le Tribunal n’avait pas compétence sur eux étant donné qu’ils ne vivaient pas au Québec.

Le Tribunal a rejeté la contestation des défendeurs, jugeant qu’il avait compétence sur ces derniers en application de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers. L’article 93 de cette loi prévoit que le Tribunal a compétence pour prendre des décisions en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec. Ensemble, ces lois forment le régime de réglementation des valeurs mobilières dans la province. Le Tribunal a également appliqué une décision rendue par la Cour suprême du Canada dans une affaire distincte, où il a été décidé qu’un régime provincial de réglementation, comme le régime québécois examiné par la Cour suprême dans la présente affaire, peut s’appliquer à un défendeur de l’extérieur de la province lorsqu’il existe un « lien suffisant » ou un « lien réel et substantiel » entre la province et le défendeur. Le caractère « suffisant » du lien dépend du rapport qui existe entre la province qui a adopté la loi, l’objet de la loi et l’individu ou l’entité qu’on cherche à assujettir à celle-ci.

La Cour supérieure du Québec a rejeté les demandes de révision de la décision du Tribunal présentées par les défendeurs, concluant que le Tribunal s’était à bon droit déclaré compétent à l’égard de ces derniers. La Cour d’appel du Québec a rejeté leurs appels subséquents, mais il y avait désaccord entre les trois juges sur le fondement juridique justifiant le rejet. Les juges majoritaires s’entendaient pour dire que le Tribunal avait compétence en raison du lien réel et substantiel qui existait entre la province et les défendeurs. Dans une opinion concordante, le juge minoritaire aurait pour sa part rejeté les appels en application des règles énoncées dans le Code civil du Québec en ce qui a trait à la compétence internationale des autorités du Québec. En appel devant la Cour suprême du Canada, les défendeurs ont voulu savoir si le Tribunal avait eu raison de se déclarer compétent et, si oui, en application de quelles règles de droit.

La Cour suprême a rejeté les appels.

Le Tribunal a eu raison de conclure qu’il avait compétence sur les défendeurs.

S’exprimant pour les juges majoritaires, le juge en chef Wagner et le juge Jamal ont indiqué que le Tribunal a compétence pour prendre des décisions en vertu du régime québécois de réglementation des valeurs mobilières. Sa compétence peut s’étendre à des défendeurs de l’extérieur de la province lorsqu’il existe un lien « réel et substantiel » (également appelé « lien suffisant ») entre ceux-ci et le Québec. Comme l’ont affirmé le juge en chef Wagner et le juge Jamal, « il serait contraire à l’objectif visé par la nature transfrontalière de la réglementation moderne des valeurs mobilières de permettre aux [défendeurs] d’échapper à la surveillance réglementaire québécoise ».

Les allégations selon lesquelles les défendeurs se sont servis du Québec comme façade de leur manipulation de titres et ont causé un préjudice à des investisseurs du Québec établissent un lien suffisant conférant au Tribunal compétence sur les défendeurs. Pour ces raisons, le juge en chef Wagner et le juge Jamal ont rejeté les appels. Cela signifie que le Tribunal peut entendre l’action intentée par l’Autorité des marchés financiers contre les défendeurs.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.