La cause en bref
Deans Knight Income Corp. c. Canada
- La décision
- Date : le 26 mai 2023
- Référence neutre : 2023 CSC 16
- Décompte de la décision :
- Majorité : le juge Rowe a rejeté l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)
- Motifs dissidents : la juge Côté aurait accueilli l’appel
- En appel de la Cour d’appel fédérale
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La Cour suprême confirme la décision du ministre du Revenu national de refuser des déductions d’impôt à une entreprise de la Colombie-Britannique ayant effectué de l’évitement fiscal abusif.
En 2007, Forbes Medi-Tech Inc. (maintenant Deans Knight Income Corporation) était une entreprise en difficulté financière basée en Colombie-Britannique et spécialisée dans la vente d’additifs alimentaires nutritionnels et la recherche sur des médicaments. L’entreprise avait accumulé approximativement 90 millions de dollars en pertes autres qu’en capital et autres crédits d’impôt non réclamés. Les pertes autres qu’en capital sont des pertes financières subies lorsque les dépenses d’une entreprise excèdent ses revenus pour une année déterminée. Sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), les contribuables peuvent réduire l’impôt qu’ils ont à payer en déduisant de leur revenu imposable leurs pertes autres qu’en capital. Si un contribuable n’utilise pas entièrement ou partiellement ces pertes pour l’année durant laquelle elles ont été subies, il peut les reporter sur les trois années précédentes ou sur les vingt années suivantes. Cependant, suivant le par. 111(5) de la Loi, lorsqu’une société acquiert le contrôle d’une autre entreprise, les nouveaux propriétaires ne peuvent pas reporter ces pertes autres qu’en capital et les déduire de leurs impôts ultérieurs, à moins que la société ne continue d’exploiter une entreprise identique ou similaire.
L’entreprise Deans Knight souhaitait utiliser ses pertes autres qu’en capital, mais elle ne disposait pas d’un revenu suffisant duquel elle aurait pu déduire les pertes en question. Au début de 2008, elle a conclu un arrangement d’investissement complexe avec la société à capital de risque Matco Capital Ltd., afin que celle-ci l’aide à devenir rentable. L’arrangement était rédigé de manière à faire en sorte que Matco n’acquière pas le contrôle de Deans Knight en devenant l’actionnaire majoritaire de celle-ci, car cela entraînerait l’application de la restriction concernant le report de pertes prévue au par. 111(5) de la Loi. Matco a toutefois acquis dans les faits une influence considérable sur les activités commerciales de Deans Knight. Matco a trouvé une société de gestion de fonds communs de placement distincte, qui allait utiliser Deans Knight comme véhicule pour lever des fonds au moyen d’un premier appel public à l’épargne. Ces fonds serviraient ensuite à transformer Deans Knight en entreprise d’investissement. Cette solution était intéressante pour Deans Knight, parce qu’elle pourrait ainsi utiliser ses pertes autres qu’en capital pour mettre à l’abri de l’impôt la majeure partie des revenus et des gains en capital provenant du portefeuille de la nouvelle entreprise.
Le plan d’affaires a été profitable. Dans les déclarations de revenus qu’elle a produites pour les années 2009 à 2012, Deans Knight a réclamé environ 65 millions de dollars en pertes autres qu’en capital et autres crédits d’impôt, réduisant ainsi son obligation fiscale. Cependant, le ministre du Revenu national a établi pour ces années-là une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé les déductions. L’entreprise a fait appel de cette décision devant la Cour canadienne de l’impôt.
La Cour canadienne de l’impôt a jugé que Deans Knight avait obtenu un avantage fiscal grâce à une série d’opérations conclues principalement afin d’éviter de payer des impôts, mais qu’il ne s’agissait pas d’opérations abusives visées par la Loi, en l’espèce le par. 111(5). Le ministre a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale, qui a jugé que les opérations étaient abusives. La Cour d’appel fédérale a refusé les déductions de Deans Knight en appliquant la « règle générale anti-évitement » (RGAE) prévue par la Loi. La RGAE permet de refuser les avantages fiscaux découlant d’opérations qui, bien qu’elles soient conformes à une interprétation littérale des dispositions de la Loi, constituent néanmoins de l’évitement fiscal abusif. Deans Knight a fait appel devant la Cour suprême du Canada.
La Cour suprême a rejeté l’appel.
Les opérations allaient à l’encontre de la raison d’être du par. 111(5) de la Loi et constituaient de l’évitement fiscal abusif.
Rédigeant les motifs des juges de la majorité, le juge Rowe a conclu que les opérations étaient abusives et que la RGAE s’appliquait et justifiait le refus des avantages fiscaux demandés par Deans Knight. Même si une opération est conforme à l’interprétation littérale d’une disposition de la Loi, elle constitue une opération abusive si elle va à l’encontre de la raison d’être de la disposition en question. Le juge Rowe a affirmé que la raison d’être du par. 111(5) de la Loi consiste à empêcher que des sociétés soient acquises par des parties non liées dans le but de déduire les pertes inutilisées de ces sociétés du revenu d’une autre entreprise au profit de nouveaux actionnaires.
Deans Knight a subi une transformation fondamentale par suite d’une série d’opérations qui a accompli ce que la Loi cherchait à éviter, tout en contournant de près la restriction prévue au par. 111(5) de la Loi. Matco n’a pas acquis le contrôle de Deans Knight par l’obtention d’une majorité des actions avec droit de vote, mais elle a tout de même réalisé l’équivalent fonctionnel et changé fondamentalement les activités de l’entreprise. Comme l’a expliqué le juge Rowe, « l’appelante a été vidée de tout vestige de son ancienne “vie” en tant que personne morale et elle est devenue une coquille vide dotée [de déductions inutilisées] ». Il a conclu que le résultat des opérations avait clairement contrecarré la raison d’être du par. 111(5) et constituait donc un abus. Pour ces raisons, il a rétabli la nouvelle cotisation du ministre qui avait refusé les déductions d’impôt.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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