La cause en bref

R. c. Lafrance

La Cour suprême confirme que l’aveu de meurtre par un homme de l’Alberta devrait être exclu au procès parce qu’il n’a pas eu suffisamment l’occasion d’obtenir des conseils juridiques.

En 2015, les policiers soupçonnaient Nigel Lafrance d’avoir été impliqué dans un meurtre, et ils ont obtenu un mandat de perquisition pour son domicile situé à Fort McMurray, en Alberta. Le matin du 19 mars, une équipe de policiers armés sont entrés dans sa maison pour la fouiller. Ils ont demandé à M. Lafrance s’il voulait répondre à des questions et, lorsqu’il a accepté, ils l’ont conduit à un poste de police et ont eu un entretien avec lui pendant plus de trois heures. Les policiers ont prélevé un échantillon de sang, les empreintes digitales et les téléphones cellulaires de M. Lafrance ainsi que certains vêtements. On ne lui a pas dit qu’il pouvait communiquer avec un avocat.

Le 7 avril, les policiers ont arrêté M. Lafrance pour meurtre. Cette fois, les policiers lui ont dit qu’il pouvait communiquer avec un avocat, et M. Lafrance a parlé brièvement au téléphone avec un avocat de l’aide juridique, qui lui a dit qu’il devrait « engager un avocat » pour parler de sa situation. Les policiers ont ensuite eu un entretien avec M. Lafrance pendant plusieurs heures. Monsieur Lafrance a demandé s’il pouvait appeler son père, pour qu’il l’aide à trouver un avocat. Les policiers ont refusé, puisqu’il avait déjà appelé l’aide juridique, et ont continué à lui poser des questions. Monsieur Lafrance a finalement avoué le meurtre.

Avant le procès, M. Lafrance a soutenu que son aveu et certains autres éléments de preuve pris lors de la première date de contact avec les policiers ne devraient pas être utilisés lors de son procès. Il a affirmé qu’il aurait dû être autorisé à parler à un avocat le 19 mars et qu’il aurait dû avoir une deuxième chance de communiquer avec un avocat lors de l’entretien du 7 avril. L’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit que « chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ».

Le juge du procès a refusé la demande de M. Lafrance, et la preuve a été utilisée au procès. Le juge du procès a conclu que parce que les policiers n’avaient pas dans les faits « détenu » M. Lafrance lors de l’entretien du 19 mars, ils n’étaient pas tenus de le laisser communiquer avec un avocat ce jour-là. De plus, les policiers n’étaient pas tenus de lui accorder une deuxième chance pour parler à un avocat lors de l’entretien du 7 avril. Un jury a condamné M. Lafrance pour meurtre.

Monsieur Lafrance a porté la déclaration de culpabilité en appel à la Cour d’appel de l’Alberta. Les juges majoritaires de cette cour lui ont donné raison. Ils ont ordonné la tenue d’un nouveau procès sans l’aveu et sans certains autres éléments de preuve obtenus par la police. La Couronne a interjeté appel à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême est du même avis que la Cour d’appel : Monsieur Lafrance a droit à un nouveau procès.

Le droit à l’assistance d’un avocat que garantit l’alinéa 10b) de la Charte à M. Lafrance a été violé.

Au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, le juge Russell Brown a conclu que les policiers avaient violé le droit à l’assistance d’un avocat de M. Lafrance lors de ces deux dates. En raison du « déséquilibre des pouvoirs » entre les policiers et une personne détenue par ceux-ci, et parce que les conseils juridiques aident à « corriger » ce déséquilibre, « il s’agissait de graves violations » a-t-il écrit.

La question de savoir si les policiers ont réellement « détenu » une personne dépend de trois questions. Premièrement, de quelle façon la personne a-t-elle perçu ou compris le contact avec les policiers — la personne se sentait-elle obligée d’obéir aux instructions des policiers? Deuxièmement, qu’est-ce que les policiers ont réellement fait, et de quelle façon et où l’ont-ils fait? Troisièmement, comment une autre personne ayant un âge, une taille, une origine raciale et un niveau d’expérience ou de discernement semblables se serait-elle sentie pendant le contact?

En l’espèce, la Cour suprême a conclu que les policiers avaient dans les faits détenu M. Lafrance après avoir fouillé son domicile le 19 mars. Une personne raisonnable à la place de M. Lafrance aurait compris qu’elle était visée à des fins d’enquête. Plusieurs facteurs appuient cette conclusion : la démonstration de force des policiers lorsqu’ils sont entrés dans la maison, ont réveillé M. Lafrance et lui ont ordonné de partir; un long trajet avec les policiers jusqu’au poste; et une longue entrevue avec les policiers dans un endroit sécurisé. De plus, M. Lafrance avait 19 ans, est autochtone, avait un manque d’expérience avec la police et ne connaissait pas ses droits. Il ne se serait pas senti libre de garder le silence ou de partir.

Le droit à l’assistance d’un avocat garanti par la Charte comprend non seulement le fait d’informer une personne détenue de son droit de parler à un avocat, mais aussi de lui donner du temps et l’occasion d’obtenir des conseils juridiques. Une seule consultation avec un avocat suffit généralement. Toutefois, la police doit parfois donner à la personne détenue une autre chance de parler à un avocat, surtout si la personne n’a pas compris ses droits ou les conseils reçus.

Dans la présente affaire, les policiers ont violé le droit à l’assistance d’un avocat de M. Lafrance le 19 mars parce qu’ils l’ont détenu mais ne lui ont pas dit qu’il pouvait parler à un avocat. Les policiers ont encore une fois violé son droit à l’assistance d’un avocat le 7 avril. Après son premier appel à l’aide juridique, il était clair que M. Lafrance n’avait pas compris ses droits. Les policiers auraient dû lui donner une autre chance de parler à un avocat pour obtenir des conseils juridiques.

L’utilisation des éléments de preuve pourrait nuire à la réputation du système de justice.

Les policiers ont obtenu l’aveu et certains autres éléments de preuve après que les droits de M. Lafrance garantis par la Charte ont été violés. La Cour suprême a conclu que l’aveu et les autres éléments de preuve ne devraient pas être utilisés lors de son procès. La gravité des violations de la Charte commises par les policiers, et leur incidence sur les droits de M. Lafrance, l’emportent sur l’intérêt du public à permettre au jury de prendre connaissance de ces éléments de preuve. Dans de telles situations, le juge Brown a conclu que permettre l’utilisation de ces éléments de preuve au procès serait « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.