La cause en bref

R. c. Sharma

La Cour suprême juge constitutionnelle l’interdiction des peines d’emprisonnement avec sursis dans le cas de certaines infractions.

En 2015, Cheyenne Sharma est arrivée à Toronto à bord d’un vol international. Elle transportait une valise contenant presque deux kilogrammes de cocaïne. Madame Sharma, qui était âgée de 20 ans et n’avait aucun casier judiciaire, a avoué à la GRC que son partenaire avait promis de lui verser 20 000 $ pour qu’elle apporte la valise au Canada. Elle a plaidé coupable à l’accusation d’avoir importé de la cocaïne. Comme Mme Sharma est une femme d’ascendance ojibwée faisant partie de la Première Nation de Saugeen, le tribunal a demandé un rapport Gladue, un rapport présentenciel préparé à l’égard des délinquants autochtones. Ce rapport indiquait que la grand‑mère de Mme Sharma était une survivante des pensionnats et que sa mère avait séjourné en foyer d’accueil. On y soulignait aussi que Mme Sharma avait été victime d’agression sexuelle et avait abandonné ses études.

Le rapport Gladue tire son nom de la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1999 dans l’affaire R. c. Gladue. Dans ce jugement, la Cour a établi les facteurs dont doivent tenir compte les tribunaux lors de la détermination de la peine de délinquants autochtones.

L’emprisonnement avec sursis, qui a été introduit en 1996, est un type de peine qui permet aux délinquants de purger leur peine sous stricte surveillance dans leur collectivité, plutôt qu’en prison. En 2012, le Parlement a modifié la loi afin d’éliminer les peines d’emprisonnement avec sursis dans le cas de certaines infractions prévues aux alinéas 742.1b) à f) du Code criminel.

Trois conditions doivent être réunies pour qu’une peine d’emprisonnement avec sursis puisse être prononcée : (1) le délinquant ne doit pas avoir été reconnu coupable de l’une ou l’autre des infractions prévues; (2) le tribunal aurait autrement imposé une peine d’emprisonnement de moins de deux ans; et (3) la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger si le délinquant purgeait sa peine au sein de celle‑ci. Si ces trois conditions sont réunies dans le cas du délinquant concerné, le juge doit alors se demander si l’emprisonnement avec sursis est une peine appropriée, conformément aux principes fondamentaux de détermination de la peine. Un de ces principes est énoncé à l’alinéa 718.2e) du Code criminel, qui oblige les juges à considérer les alternatives à l’emprisonnement « plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones ». Cette disposition a été adoptée notamment dans le but de réduire la surreprésentation des délinquants autochtones en prison.

Lorsque Mme Sharma a demandé une peine d’emprisonnement avec sursis, elle a été jugée inadmissible à cette peine, parce qu’elle avait plaidé coupable à une infraction visée par l’alinéa 742.1c) du Code criminel qui prévoyait une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans ou d’emprisonnement à perpétuité. Madame Sharma a contesté la constitutionnalité de cette disposition, ainsi que du sous-alinéa 742.1e)(ii), qui écarte l’emprisonnement avec sursis dans le cas des infractions passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans qui mettent en cause des drogues.

Le juge chargé de déterminer la peine a confirmé que Mme Sharma n’était pas admissible à l’emprisonnement avec sursis. Il a en outre rejeté ses contestations fondées sur les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L’article 7 garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, tandis que l’article 15 garantit à toute personne le droit de jouir d’un traitement égal devant la loi. Le juge a condamné Mme Sharma à une peine d’emprisonnement de 18 mois.

Madame Sharma a fait appel de la peine et du rejet des contestations fondées sur la Charte à la Cour d’appel de l’Ontario. Celle-ci a accueilli l’appel de Mme Sharma, concluant que l’alinéa 742.1c) et le sous-alinéa 742.1e) portaient atteinte à l’article 7 en raison de leur portée excessive, et qu’ils violaient également l’article 15 parce qu’ils étaient discriminatoires à l’égard des délinquants autochtones comme Mme Sharma. La Cour d’appel a condamné cette dernière à la peine d’emprisonnement qu’elle avait déjà purgée. La Couronne a ensuite interjeté appel à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a accueilli l’appel de la Couronne.

L’alinéa 742.1c) et le sous-alinéa 742.1e)(ii) du Code criminel sont constitutionnels.

Rédigeant les motifs de jugement des juges majoritaires de la Cour suprême, les juges Russell Brown et Malcolm Rowe ont conclu à la constitutionnalité de l’alinéa 742.1c) et du sous-alinéa 742.1e)(ii). Ils ont déclaré qu’il n’y avait eu aucune violation de l’article 15 de la Charte. Les juges majoritaires ont souligné que, bien que la crise relative à l’incarcération des Autochtones soit indéniable, Mme Sharma n’avait pas démontré que les dispositions contestées créaient un effet disproportionné sur les délinquants autochtones par rapport aux délinquants non autochtones, ou qu’elles contribuaient à un tel effet. Madame Sharma avait l’obligation de démontrer l’existence d’un tel effet disproportionné à la première étape de l’analyse fondée sur le par. 15(1), mais elle ne l’a pas fait.

Les juges majoritaires ont aussi déclaré que les dispositions en cause ne portaient pas atteinte à l’article 7 de la Charte,puisqu’elles réalisent l'objectif visé, qui consiste « à renforcer la cohérence du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement en faisant de l’emprisonnement la peine habituellement infligée pour certaines infractions et catégories d’infractions graves ». Ils ont ajouté que les peines maximales sont un indicateur raisonnable de la gravité de l’infraction, et que, par conséquent, les dispositions en question ne privent pas les individus de leur liberté dans des circonstances qui n’ont aucun lien avec l’objectif visé.

La peine d’emprisonnement de 18 mois à laquelle Mme Sharma avait été condamnée a été rétablie. Toutefois, puisqu’elle avait déjà purgé sa peine, aucune autre ordonnance n’a été rendue.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.