La cause en bref

Ward c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

La Cour suprême conclut que le Tribunal des droits de la personne du Québec n’avait pas compétence pour entendre une cause concernant un humoriste qui s’est moqué d’un jeune chanteur adolescent bien connu ayant un handicap, parce qu’il ne s’agissait pas de discrimination visée par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

La Cour explique également le cadre juridique applicable à un recours en discrimination mettant en cause le droit à la dignité d’une personnalité publique et la liberté d’expression d’un humoriste professionnel. Elle affirme qu’une personne raisonnable ne considérerait pas que les commentaires de l’humoriste incitent d’autres personnes à mépriser le jeune en question ou à détester son humanité.

L’affaire concerne l’humoriste professionnel Mike Ward, qui s’est moqué d’un jeune bien connu ayant un handicap, Jérémy Gabriel. Entre septembre 2010 et mars 2013, M. Ward a présenté un spectacle populaire intitulé « Mike Ward s’eXpose », dans lequel il se moquait de plusieurs personnalités publiques bien en vue du milieu artistique québécois. Monsieur Gabriel, qui étudiait à l’école secondaire et menait une carrière de chanteur, faisait partie de ces personnalités. Monsieur Ward a également publié des capsules vidéo dans lesquelles il se moquait d’artistes québécois. En 2012, les parents de M. Gabriel ont déposé auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) une plainte en leur propre nom et au nom de leur fils. La Commission a conclu qu’il y avait matière à recours en discrimination, et elle a porté la plainte contre M. Ward devant le Tribunal des droits de la personne du Québec (Tribunal) au nom de M. Gabriel. Devant le Tribunal, la Commission a soutenu que le spectacle et le contenu en ligne de M. Ward contrevenaient à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, sur la base du handicap de M. Gabriel. En défense, M. Ward a plaidé qu’il avait le droit, en vertu de la liberté d’expression garantie par la Charte québécoise, de dire ce qu’il avait dit au sujet de M. Gabriel.

Le Tribunal a donné raison à la Commission, concluant que M. Ward avait porté atteinte au droit que possède M. Gabriel à la sauvegarde de sa dignité, sans discrimination fondée sur son handicap, aux termes des articles 4 et 10 de la Charte québécoise. Le Tribunal a également conclu que les propos de M. Ward excédaient les limites de ce qu’une « personne raisonnable » pouvait tolérer au nom de la liberté d’expression prévue à l’article 3 de la Charte québécoise. En droit, une personne raisonnable est une personne fictive sur laquelle on se base, en tant que norme juridique, pour déterminer ce que penserait la personne typique ou comment elle se comporterait. Ce concept est appliqué dans de nombreux domaines du droit. L’appel formé par M. Ward à l’encontre de la décision du Tribunal a été rejeté par une majorité de juges de la Cour d’appel du Québec. Il a ensuite fait appel de cette décision à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a conclu que le Tribunal n’avait pas compétence pour entendre la cause, parce qu’il ne s’agissait pas d’une plainte de discrimination.

Il ne s’agissait pas d’une plainte de discrimination.

Le juge en chef Wagner et la juge Côté ont rédigé les motifs de décision des juges majoritaires. Ils ont expliqué que, comme le Tribunal avait conclu que M. Gabriel avait été la cible des blagues de M. Ward en raison de sa notoriété et non de son handicap, et que la notoriété n’est pas un motif de discrimination interdit par la Charte québécoise, le Tribunal n’avait en conséquence pas compétence (c’est-à-dire le pouvoir) pour entendre la cause.

Les juges majoritaires ont souligné que les propos tenus par M. Ward au sujet de M. Gabriel ne menaient pas à une action en diffamation, mais plutôt à un recours en discrimination. Cette distinction est importante, car le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider des actions en diffamation ou d’autres actions en responsabilité civile, étant donné que sa compétence se limite aux plaintes pour discrimination fondées sur la Charte québécoise. Le Tribunal peut entendre des litiges concernant des propos comme ceux prononcés dans la présente affaire, mais seulement s’il s’agit de propos qui, prétend-on, sont discriminatoires.

Cadre juridique

Les juges majoritaires ont poursuivi en expliquant le cadre juridique qui s’applique à un recours en discrimination mettant en cause le droit à la dignité d’une personnalité publique, d’une part, et la liberté d’expression d’un humoriste professionnel, d’autre part. Suivant la première exigence de ce cadre, une personne raisonnable ne considérerait pas que les propos tenus par M. Ward au sujet de M. Gabriel inciteraient d’autres personnes à mépriser celui-ci ou à détester son humanité. Ils ont écrit ce qui suit : « rire des caractéristiques physiques d’une personne peut être répugnant; ce l’est assurément lorsque la personne en question est un jeune en situation de handicap qui contribue avec détermination à la société. Mais, de tels propos n’incitent pas, du seul fait qu’ils sont répugnants, à détester ou à mépriser l’humanité de la personne ciblée. »

Selon la deuxième exigence de ce cadre, les juges majoritaires ont dit qu’une personne raisonnable ne pourrait pas considérer que les propos en cause entraîneraient vraisemblablement un traitement discriminatoire à l’endroit de M. Gabriel.

En conséquence, les juges majoritaires ont conclu que les propos « exploitent, à tort ou à raison, un malaise en vue de divertir, mais ils ne font guère plus que cela ».

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.