La cause en bref

Colucci c. Colucci

La Cour suprême rejette la demande d’un parent qui voulait faire réduire ou annuler une dette de 170 000 $ en pensions alimentaires pour enfants impayées.

Les parties se sont mariées en 1983 et ont divorcé en 1996. La mère a obtenu la garde exclusive des deux filles du couple, et le père s’est vu ordonner de payer une pension alimentaire de 115 $ par semaine pour chaque enfant.

Pendant 16 ans, le père n’a fait aucun versement volontaire de pension alimentaire pour enfants, il n’a pas révélé son revenu et il a déménagé dans deux pays différents sans en aviser la mère. Son obligation de verser du soutien alimentaire au profit des enfants a pris fin en 2012, mais il devait alors à la mère presque 170 000 $ en pensions alimentaires impayées.  

En 2016, le père a cherché à faire annuler sa dette à l’égard des pensions alimentaires pour enfants ou à la faire réduire considérablement. Il a présenté à cette fin une demande en vertu de l’article 17 de la Loi sur le divorce, qui permet à un parent payeur de demander une réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants prévue par une ordonnance. Il a demandé au tribunal de modifier rétroactivement le montant de la pension alimentaire pour enfants et de fixer ce montant conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (Lignes directrices) entrées en vigueur en 1997. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a accueilli la demande du père et a réduit à environ 42 000 $ le montant des pensions alimentaires impayées dû par celui-ci. La mère s’est adressée à la Cour d’appel de l’Ontario, qui a annulé la décision du tribunal inférieur et a ordonné au père de payer la dette originale de 170 000 $. Le père a interjeté appel à la Cour suprême du Canada.

Cadre d’analyse devant être suivi par les tribunaux

Cette affaire a donné à la Cour suprême l’occasion d’établir un cadre d’analyse que doivent suivre les tribunaux lorsqu’un parent veut faire réduire rétroactivement, en vertu l’art. 17 de la Loi sur le divorce, la pension alimentaire qu’il verse au profit d’un enfant pour qu’elle tienne compte d’une réduction passée de ses revenus.

La Cour suprême a indiqué que les affaires de droit de la famille sont variées et complexes, et que les tribunaux doivent disposer d’un grand pouvoir discrétionnaire afin d’arriver à des résultats équitables. Elle a affirmé que les tribunaux doivent mettre en balance le besoin de l’enfant de recevoir une pension alimentaire régulière et appropriée et la souplesse requise lorsque des changements dans le revenu d’un parent influent sur sa capacité de payer.

Le cadre d’analyse reconnaît deux principes établis depuis longtemps dans le droit canadien en matière de pension alimentaire. Premièrement, les enfants ont droit à l’application de normes équitables en matière de soutien alimentaire. Il s’agit d’un objectif fondamental des Lignes directrices. Deuxièmement, les parents ont l’obligation de soutenir financièrement leurs enfants dès la naissance, et de continuer à le faire après une séparation. La Cour suprême a également expliqué que, depuis l’entrée en vigueur des Lignes directrices, la loi oblige désormais le parent payeur — indépendamment de toute ordonnance judiciaire — à payer une pension alimentaire pour enfants proportionnelle à son revenu.

La Cour suprême a précisé que le système de soutien alimentaire pour enfants dépend de la communication adéquate, exacte et en temps utile des renseignements financiers. Elle a en outre souligné que « la communication franche par le parent débiteur des renseignements sur son revenu est le fondement du régime de soutien alimentaire des enfants ».

Application du principe de la réduction rétroactive au présent cas

Dans le présent cas, le père a cherché à obtenir, rétroactivement à 1997, une réduction des paiements de pension alimentaire pour enfants, prétendant qu’il y avait droit automatiquement, même s’il n’avait à aucun moment avisé la mère de la baisse de son revenu à l’époque.

La Cour suprême a indiqué que, même si un parent établit qu’il a subi une baisse de revenu dans le passé, il n’a pas automatiquement droit à ce que la pension alimentaire soit réduite rétroactivement à la date de cette baisse de revenu. Elle a souligné que c’est au tribunal qu’il appartient, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de décider si le parent y a droit ou non, après avoir analysé les circonstances particulières de l’affaire concernée.

La Cour a affirmé que le père avait omis pendant 18 ans de communiquer ou de demander un changement à l’ordonnance alimentaire. Elle a déclaré qu’il « n’a fait que peu de versements volontaires pendant cette période, voire aucun, et n’a fait montre d’aucune volonté de subvenir aux besoins des enfants, qui ont connu des difficultés en raison de son défaut de satisfaire à ses obligations. Son comportement témoigne d’efforts de mauvaise foi visant à se soustraire à l’exécution d’une ordonnance judiciaire ».

Les juges de la Cour suprême ont unanimement conclu que le père n’avait pas droit à une réduction de la pension alimentaire basée sur son revenu moindre. De plus, ils ont statué que l’omission du père de présenter une preuve adéquate de sa situation financière avait porté un coup fatal à sa demande d’annulation de sa dette pour pensions alimentaires pour enfants impayées. La Cour a jugé que le père n’avait pas prouvé qu’il était incapable de s’acquitter de sa dette actuellement ou dans le futur, même si on lui accordait des modalités de paiement souples. Quoi qu’il en soit, la Cour a déclaré que l’annulation d’une dette pour pensions alimentaires pour enfants impayées ne serait accordée qu’en dernier recours et dans des cas exceptionnels. Le paiement de ces dettes ou l’application de mesures d’exécution à cet égard constituent la règle.

En conséquence de la décision de la Cour, le père devra payer à la mère la pension alimentaire pour enfants due, soit environ 170 000 $.  

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.