La cause en bref

R. c. Chung

Une vitesse excessive peut constituer une conduite dangereuse, même si elle ne dure que quelques secondes, statue la Cour suprême.

En 2015, M. Chung conduisait un véhicule sur une rue de Vancouver. La limite de vitesse était de 50 km/h. Sur une distance équivalente à la portion de rue comprise entre deux intersections, et juste avant une intersection importante, il s’est inséré dans la voie en bordure du trottoir. Il a doublé au moins une voiture par la droite et en a évité une autre tout en accélérant pour atteindre une vitesse de 140 km/h. Il a heurté une voiture qui effectuait un virage à gauche. Le conducteur de l’autre voiture est mort. M. Chung a été accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort.

Pour être coupable d’un crime, une personne doit faire quelque chose qui est contraire à la loi (criminelle). C’est ce qu’on appelle l’« actus reus », ce qui signifie « acte coupable » en latin. Cependant, quelque chose doit la rendre responsable de ce qu’elle a fait. C’est ce qu’on appelle la « mens rea », ce qui signifie « intention coupable » en latin.

Pour bien des crimes, la mens rea est fondée sur l’intention, mais, pour certains crimes, une personne peut être responsable même si elle n’a pas l’intention de faire quelque chose de mal. Dans de tels cas, les juges n’ont pas à se pencher sur ce que la personne elle‑même pensait. Les juges se demanderont plutôt ce qu’une personne ordinaire et sensée (une « personne raisonnable ») aurait fait. Si les actions de la personne accusée et de la « personne raisonnable » sont très différentes, il y a « écart marqué » par rapport à la norme de diligence. Cet « écart marqué » constitue la mens rea de crimes comme la conduite dangereuse causant la mort. L’actus reus de ce crime est le fait de conduire d’une manière qui est dangereuse pour le public et qui entraîne la mort.

Le juge de première instance a affirmé que la vitesse excessive de M. Chung sur une courte distance satisfaisait à l’exigence relative à l’actus reus, mais il n’était pas d’avis que celui‑ci avait la mens rea ou l’intention coupable. Selon lui, le bref excès de vitesse à lui seul n’était pas suffisant pour établir la mens rea de la conduite dangereuse causant la mort.

La Couronne a interjeté appel. Lorsqu’une personne est déclarée non coupable, la Couronne ne peut faire appel que si le juge a commis une erreur de droit. Elle ne peut se pourvoir en appel simplement parce que la décision est déraisonnable. La Couronne a affirmé que le juge de première instance avait commis des erreurs de droit dans la présente affaire.

La Cour d’appel a convenu que le juge du procès avait commis une erreur de droit en concluant qu’un bref excès de vitesse ne suffisait pas pour établir un « écart marqué ». Comme le juge a tiré toutes les conclusions de fait nécessaires, la Cour d’appel pouvait juger que M. Chung avait la mens rea de la conduite dangereuse. S’il n’avait pas commis cette erreur, le juge aurait déclaré M. Chung coupable. La Cour d’appel a donc remplacé la conclusion de « non‑culpabilité » par une conclusion de « culpabilité ».

Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada sont d’accord pour dire que le juge du procès a commis des erreurs de droit. Ils ont affirmé que celui‑ci s’était employé à comparer ce que M. Chung avait fait à des choses précises pour lesquelles des personnes avaient été déclarées coupables dans d’autres affaires. Le juge a également mis l’accent sur le fait que l’excès de vitesse était de courte durée. Cependant, ce n’est pas ce sur quoi il convenait de se concentrer. Le juge aurait dû se demander si une personne raisonnable aurait prévu un danger pour le public et ce que celle‑ci aurait fait dans les circonstances. Il aurait dû comparer cela à ce que M. Chung a fait, et ensuite décider si le comportement de ce dernier représentait un « écart marqué ». Les juges majoritaires ont déclaré que le comportement de M. Chung constituait un « écart marqué ». À leur avis, une personne raisonnable aurait prévu que l’accélération rapide en direction d’une intersection importante à une vitesse élevée créerait presque immédiatement un risque de blesser une personne.

Les juges majoritaires ont affirmé qu’une personne raisonnable comprend que le fait de conduire est une activité par nature risquée. Ils ont déclaré que plus une personne conduit vite, plus elle accélère brusquement et plus elle manœuvre dans la circulation de manière agressive, plus cette activité devient risquée. À leur avis, même la conduite prudente peut entraîner des conséquences tragiques. Cependant, certains comportements sont si dangereux qu’ils méritent une sanction pénale, comme dans la présente affaire. Les juges majoritaires ont confirmé que M. Chung était coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort.

Dans la plupart des cas, il faut obtenir la permission de la Cour suprême pour faire appel devant elle. Il y a toutefois des exceptions. Une d’elles est le cas où la Cour d’appel annule une décision de « non‑culpabilité ». C’est ce qui s’est produit dans la présente affaire, de sorte que M. Chung avait le droit d’interjeter appel sans devoir obtenir la permission de le faire. C’est ce qu’on appelle un appel « de plein droit ».

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.