La cause en bref
Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc.
- La décision
- Date : le 5 novembre 2020
- Référence neutre : 2020 CSC 32
- Décompte de la décision :
- Majorité : les juges Russell Brown et Malcolm Rowe ont accueilli l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver et Côté)
- Concordance : la juge Rosalie Silberman Abella a affirmé qu’il faut interpréter largement la Charte, en se basant sur ses objectifs, et que les tribunaux ne devraient pas faire du texte l’aspect le plus important de l’interprétation; les sources de droit international et de droit comparé devraient continuer de jouer un rôle important dans l’interprétation de la Charte (avec l’accord des juges Karakatsanis et Martin)
- Concordance : le juge Nicholas Kasirer a dit lui aussi qu’il était clair que l’article 12 ne s’applique pas aux personnes morales, et qu’il n’était pas nécessaire dans la présente affaire de s’attarder davantage sur des questions liées à la démarche appropriée en matière d’interprétation constitutionnelle
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignements sur le dossier (38613)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs :
- Explorez la Cour
La Charte ne protège que les êtres humains — non les personnes morales — contre les traitements ou peines cruels et inusités, juge la Cour suprême.
9147-0732 Québec Inc. était une personne morale. Elle a été déclarée coupable d’avoir exécuté des travaux de construction sans permis. La Loi sur le bâtiment du Québec prévoit une amende minimale comme peine dans un tel cas. 9147-0732 Québec Inc. s’est vu infliger une amende de plus de 30 000 $. Elle a affirmé que l’amende minimale constituait une peine cruelle et inusitée et que, pour cette raison, cette amende était inconstitutionnelle.
La Charte canadienne des droits et libertés énonce les droits et libertés dont jouissent les Canadiennes et les Canadiens. Elle fait partie de la Constitution du Canada. Selon l’article 12 de la Charte, chacun a droit à la protection « contre tous traitements ou peines cruels et inusités ». Cela veut dire que certains traitements ou certaines peines sont inacceptables et ne sont pas autorisés.
Une « personne morale » est considérée comme une personne physique (un être humain) à l’égard de certaines fins prévues par la loi. Elle possède sa propre « personnalité juridique », ce qui signifie qu’elle a ses propres droits et obligations. Par exemple, elle peut, comme tout être humain, signer des contrats et posséder des biens.
Une personne morale peut bénéficier de certains droits garantis par la Charte. Par exemple, l’article 8 protège les personnes morales contre « les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». L’État ne peut effectuer une perquisition dans les locaux d’une personne morale ou prendre des objets privés chez celle-ci, à moins d’être autorisé expressément par la loi à le faire, par exemple lorsque les policiers sont munis d’un mandat. Les personnes morales ont aussi droit, en vertu de l’alinéa 11b), de subir un procès criminel dans un délai raisonnable. Cependant elles ne bénéficient pas de tous les droits garantis par la Charte. En effet, les personnes morales n’ont pas droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de [leur] personne » aux termes de l’article 7. Elles ne jouissent pas non plus du droit que prévoit l’alinéa 11c) de ne pas être forcées de témoigner. La question en litige dans la présente affaire était de savoir si une personne morale bénéficie de la protection contre les peines cruelles et inusitées prévue par l’article 12.
Le juge qui a présidé le procès devant la Cour du Québec a dit que l’amende n’était pas cruelle et inusitée. De toute manière, selon lui, l’article 12ne protège que les êtres humains, non les personnes morales. Le juge de la Cour supérieure qui a entendu le premier appel a été du même avis. Toutefois, en Cour d’appel, les juges majoritaires ont dit être en désaccord avec cette décision. Selon eux, l’article 12 pouvait s’appliquer aux personnes morales.
Tous les juges de la Cour suprême ont conclu que l’article 12 protège seulement les individus (c’est-à-dire les êtres humains véritables). À leur avis, cet article ne protège pas les personnes morales.
Les décisions portant sur l’article 12 mettent l’accent sur la « dignité humaine », c’est-à-dire l’idée que les gens ont tous de la valeur et méritent le respect, tout simplement parce que chacun d’eux est un être humain. Qui ils sont et ce qu’ils font n’a pas d’importance. Les juges ont souligné que l’article 12 vise à protéger la dignité humaine. Seuls les êtres humains peuvent posséder la dignité humaine. Les personnes morales ne le peuvent pas.
Les juges majoritaires ont fait remarquer que le fait qu’il y avait des êtres humains derrière la personne morale n’était pas important. Il y a toujours des êtres humains derrière les personnes morales. Même si ces êtres humains prennent des décisions au nom de la personne morale, ils conservent malgré tout leur propre personnalité juridique individuelle et distincte.
La plupart des juges se sont attardés au mot « cruels » qui figure dans l’expression « traitements ou peines cruels et inusités ». Ils ont souligné que normalement ce mot désigne seulement quelque chose qui cause de la douleur ou de la souffrance. Et qu’une telle chose ne peut affecter seulement que des êtres vivants tel un être humain, et non une personne morale. Cette constatation appuyait l’idée que l’article 12 ne s’applique pas aux personnes morales.
Les juges majoritaires se sont concentrés sur le texte de la Charte, ses objectifs et son histoire pour arriver à leur décision. Selon eux, le texte de la Charte et les décisions antérieures des tribunaux canadiens indiquent clairement que l’article 12 s’applique uniquement aux êtres humains. Les juges majoritaires ont mentionné qu’ils n’avaient pas besoin de se fonder sur des traités internationaux, ou encore sur des lois ou décisions étrangères, pour pouvoir prendre leur décision. Toutefois, ils ont dit que les traités internationaux auxquels le Canada a donné son accord devraient se voir reconnaître plus d’importance que ceux qu’il n’a pas adoptés.
L’article 12 figure dans la partie de la Charte qui traite des garanties juridiques, des protections juridiques. Les articles 7 à 14 protègent les droits des gens qui ont des démêlés avec le système de justice. Ces dispositions permettent de faire en sorte que les gens aient confiance dans ce système et qu’ils soient traités équitablement, particulièrement lorsqu’ils sont accusés d’un crime. Elles reposent sur la foi dans la dignité et la valeur de chaque être humain.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
Explorez la Cour: Les juges de la Cour | Le rôle de la Cour | Visitez la Cour
- Date de modification :