La cause en bref
Michel c. Graydon
- La décision
- Jugement rendu : le 14 novembre 2019
- Motifs écrits publiés : le 18 septembre 2020
- Référence neutre : 2020 CSC 24
- Décision prononcée séance tenante : La Cour suprême a accueilli à l’unanimité le pourvoi
- Décompte de la décision :
- Majorité : le juge Russell Brown a déclaré que les tribunaux peuvent modifier rétroactivement une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, même si l’enfant est devenu un adulte ou si l’ordonnance a expiré (avec l’accord des juges Moldaver, Côté, Rowe et Kasirer)
- Concordance : la juge Sheilah Martin a souscrit à la décision de la majorité, mais exprimé l’avis qu’il y avait d’autres raisons importantes justifiant le versement d’une prestation alimentaire rétroactive au profit d’un enfant (avec l’accord du juge en chef Wagner)
- Concordance : la juge Rosalie Silberman Abella a souscrit aux motifs du juge Brown et à ceux de la juge Martin (avec l’accord de la juge Karakatsanis)
- En appel de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique
- Renseignements sur le dossier (38498)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
- Ordonnance alimentaire au profit d’un enfant (Cour provinciale de la Colombie-Britannique, non disponible en ligne)
- Appel (Cour suprême de la Colombie-Britannique)
- Appel (Cour d’appel de la Colombie-Britannique)
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La loi pertinente de la Colombie-Britannique permet aux tribunaux d’ordonner le paiement d’arriérés de pension alimentaire même après que l’enfant est devenu un adulte, juge la Cour suprême.
Madame Michel et Monsieur Graydon étaient des « conjoints de fait », ce qui signifie que suivant la loi, ils étaient considérés comme étant mariés même s’ils n’avaient pas de certificat de mariage. Ils habitaient en Colombie-Britannique et ils ont eu ensemble un enfant, une fille, AG. Leur relation a pris fin après quelques années. AG est allée demeurer avec Mme Michel. Monsieur Graydon a déclaré un revenu annuel de 40 000 $ approximativement. Il a accepté de verser, sur la base de ce montant, une pension alimentaire pour enfants d’environ 340 $ par mois.
Durant l’enfance d’AG, Mme Michel vivait de l’aide sociale. Pour cette raison, elle a dû céder au gouvernement son droit de recevoir une pension alimentaire pour enfants. Le gouvernement percevait la pension alimentaire et lui versait des prestations d’aide sociale. Il n’a cependant jamais demandé une augmentation de la pension alimentaire versée pour AG.
Lorsqu’AG est devenue une adulte, les paiements de pension alimentaire ont cessé. Madame Michel a toutefois découvert que M. Graydon avait eu des revenus plus élevés que celui qu’il avait déclaré, et elle a demandé qu’il lui verse des arriérés de pension alimentaire (une prestation alimentaire rétroactive) basés sur ses véritables revenus.
Monsieur Graydon a répondu qu’il était trop tard pour présenter une telle demande. Il a affirmé que les tribunaux n’avaient pas le pouvoir de l’obliger à verser ces sommes, car AG n’était plus une enfant.
Lorsque des parents qui sont mariés formellement décident de divorcer, c’est alors la Loi sur le divorce, une loi fédérale, qui s’applique. Toutefois, ce sont les lois provinciales qui s’appliquent avant qu’une personne ne présente une demande en divorce ou lorsque les parents sont des conjoints de fait suivant le droit civil québécois ou suivant la common law dans les autres provinces. Monsieur Graydon a dit qu’en vertu de la Loi sur le divorce, si l’enfant est devenu un adulte, les parents ne sont pas obligés de verser les montants de pension alimentaire pour enfants qu’ils auraient dû payer par le passé. Selon lui, a-t-il dit, la Family Law Act de la Colombie-Britannique devait être interprétée de la même façon.
Le juge du procès a conclu que M. Graydon avait dissimulé ses revenus véritables et que ce dernier avait ainsi causé du tort à AG. Il était à blâmer pour cette situation. Le juge du procès a ordonné à M. Graydon de verser une somme de 23 000 $ en arriérés de pension alimentaire, répartie en parts égales entre Mme Michel et AG. Mais les juges de la Cour d’appel ont donné raison à M. Graydon et affirmé qu’il était trop tard pour ordonner le versement d’une prestation alimentaire rétroactive.
Tous les juges de la Cour suprême du Canada ont conclu que M. Graydon doit verser la prestation alimentaire demandée. Ils ont déclaré que, en vertu de la Family Law Act, les tribunaux peuvent modifier une ordonnance alimentaire pour enfants rendue antérieurement, et qu’ils peuvent même le faire dans les cas où l’enfant concerné est devenu un adulte.
Le droit à une pension alimentaire est un droit qui appartient à l’enfant, et ses parents n’ont pas le droit d’y renoncer par voie de négociations. Le soutien alimentaire versé doit permettre à l’enfant de conserver le niveau de vie qu’il avait avant la séparation de ses parents. Tous les juges ont conclu que des paiements rétroactifs constituent une mesure équitable. Comme les paiements qu’un parent est obligé de verser sont toujours basés sur son revenu, une ordonnance alimentaire rétroactive ne fait qu’assurer que le parent concerné respecte cette obligation.
Les juges ont tous été d’accord pour dire que les tribunaux doivent tenir compte de l’ensemble de la situation avant de décider s’il y a lieu d’ordonner à un parent de verser une prestation alimentaire rétroactive au profit d’un enfant. À cette fin, les tribunaux examinent notamment les raisons pour lesquelles le parent demandeur a attendu avant de présenter la demande de soutien alimentaire, la conduite du parent qui était censé verser la pension, la situation de l’enfant et la question de savoir si un paiement rétroactif causerait des difficultés. Les juges majoritaires ont affirmé que la raison pour laquelle Mme Michel avait attendu avant de demander les arriérés de pension était qu’elle avait subi une grave blessure et que le droit à la pension alimentaire avait dû être cédé au gouvernement. Comme M. Graydon savait que son revenu était plus élevé que celui qu’il avait déclaré, il n’avait donc pas de raison d’être surpris d’apprendre que les sommes qu’il devait verser étaient plus élevées. Il connaissait aussi les conditions déplorables dans lesquelles vivait AG en raison du manque d’argent, mais au lieu de lui venir en aide, il a plutôt fait des commentaires désobligeants à cet égard. Il a les moyens aujourd’hui de payer les sommes en question. Tous ces facteurs indiquent que M. Graydon doit verser une alimentaire rétroactive.
Tous les juges ont reconnu que ce sont les femmes qui sont le plus durement touchées par le fait d’empêcher le versement de prestations alimentaires rétroactives. Les juges ont affirmé que le soutien alimentaire ne doit être limité que dans les cas où la loi le dit clairement. Ils ont ajouté que, bien qu’il soit possible qu’une ancienne version de la loi ait eu pour effet d’empêcher le versement de pensions alimentaires rétroactives, ce n’est plus le cas en ce qui concerne la version actuelle de la loi. Quoi qu’il en soit, il serait injuste que des parents soient encouragés à ne pas verser les sommes qu’ils doivent en se disant que l’autre parent attendra peut-être trop longtemps avant de les demander. Les gens ne devraient pas être en mesure de profiter de leurs comportements répréhensibles.
Cette cause a été décidée « du banc », c’est-à-dire à la fin de l’audience tenue le 14 novembre 2019. Quand une cause est décidée du banc, les juges informent immédiatement les parties de la décision. Dans cette affaire, les juges ont fourni par la suite des motifs écrits expliquant cette décision.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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