La cause en bref
Bent c. Platnick
- La décision
- Date : le 10 septembre 2020
- Référence neutre : 2020 CSC 23
- Décompte de la décision :
- Majorité : la juge Suzanne Côté accueille en partie la requête en production de preuve nouvelle et rejette les pourvois (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Brown et Rowe)
- Dissidence : la juge Rosalie Silberman Abella accueillerait les pourvois, parce qu’il s’agit selon elle exactement du type de poursuite que les lois relatives aux poursuites-bâillons visent à empêcher, et conclut que la défense d’immunité relative s’applique à Me Bent (avec l’accord des juges Karakatsanis, Martin et Kasirer)
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignements sur le dossier (38374)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
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La poursuite en diffamation intentée par un médecin contre une avocate ne visait pas à réduire quiconque au silence et peut aller de l’avant, a jugé la Cour suprême.
La liberté d’expression est importante pour la démocratie mais elle a ses limites, notamment lorsque l’expression est diffamatoire. Le droit de la diffamation protège la réputation de toute personne contre tout préjudice injuste.
Mme Bent est avocate. Elle a été élue présidente de l’Ontario Trial Lawyers Association (OTLA), dont les membres représentent les personnes blessées dans des accidents d’automobile.
Dr Platnick est médecin. Il a été engagé par des compagnies d’assurance pour examiner les rapports rédigés par d’autres professionnels de la santé. Il préparait des rapports finaux dans lesquels il donnait des opinions médicales concernant la gravité des blessures des victimes.
En 2014, Me Bent a envoyé un courriel à la liste de diffusion de l’OTLA, dans lequel elle disait que Dr Platnick avait présenté de façon inexacte et changé les rapports d’autres médecins pour faire en sorte que les blessures des victimes qu’elle représentait semblent moins graves. Cela signifie que les personnes blessées obtenaient moins de prestations d’assurance.
Les courriels envoyés à la liste de l’OTLA devaient être confidentiels, mais quelqu’un a diffusé le message portant sur Dr Platnick. Un magazine du secteur de l’assurance a publié le courriel au complet dans un article.
Dr Platnick a soutenu que Me Bent avait tort. Il a expliqué que dans un cas, il avait manifestement tiré ses propres conclusions en fonction de l’information fournie par d’autres médecins qui ne connaissaient pas le régime d’indemnisation des victimes d’accidents en Ontario. Dans un autre cas, une médecin a fait une erreur dans un rapport et l’a corrigée par la suite.
Dr Platnick a demandé à Me Bent de s’excuser. Elle ne l’a pas fait, alors il a intenté une poursuite en diffamation contre elle et son cabinet d’avocats (pour atteinte à sa réputation). Il réclamait plus de 16 millions de dollars en dommages-intérêts et en perte de revenu.
Me Bent a soutenu qu’il s’agissait d’une « poursuite stratégique contre la mobilisation publique », ou « poursuite-bâillon » ou « SLAPP » (acronyme de « Strategic Lawsuit Against Public Participation » en anglais). Celles-ci sont des poursuites utilisées pour empêcher des gens de parler de quelque chose d’important pour le public. Les poursuites-bâillons ne portent pas sur de véritables demandes en justice. Elles visent à intimider et à réduire au silence les gens qui formulent des critiques par la menace d’un procès, coûteux en temps et en argent. Comme d’autres provinces, l’Ontario dispose d’une loi visant à mettre fin aux poursuites-bâillons avant qu’elles ne se rendent au procès.
Le juge de la motion était d’accord avec Me Bent pour dire que la poursuite en diffamation était une poursuite-bâillon et qu’on devrait y mettre fin. Selon la Cour d’appel, il ne s’agissait pas d’une poursuite-bâillon et la poursuite pouvait aller de l’avant.
Selon les juges majoritaires de la Cour suprême, la poursuite intentée par Dr Platnick n’est pas une poursuite-bâillon et devrait pouvoir suivre son cours.
Pour que sa poursuite puisse aller de l’avant, Dr Platnick devait démontrer trois choses. D’abord, qu’il avait une chance d’avoir gain de cause; ensuite, que Me Bent n’avait pas de défense valable; et enfin, qu’il était plus important pour le public de permettre à la poursuite de suivre son cours que de protéger l’expression de Me Bent.
Selon les juges majoritaires, Dr Platnick a démontré ces trois éléments. Ils ont conclu que le juge de la motion avait fait des erreurs en appliquant la loi sur les poursuites-bâillons, ainsi que des erreurs concernant le droit de la diffamation et concernant la preuve. Selon eux, Dr Platnick avait une chance d’avoir gain de cause parce que le courriel de Me Bent avait été envoyé à 670 membres de l’OTLA et que Dr Platnick y était désigné par son nom, et aussi parce que Dr Platnick a démontré une perte d’environ 600 000 $ en revenus en raison de l’atteinte à sa réputation. Dr Platnick a aussi démontré à ce stade qu’il se trouvait un fondement dans les faits pour conclure que Me Bent n’avait pas de défense valable. La preuve indiquait que Dr Platnick n’avait peut-être pas changé le rapport du médecin. Les affirmations de Me Bent étaient fausses. De plus, ses commentaires n’étaient pas nécessaires parce qu’elle n’avait pas à mentionner le nom de Dr Platnick. Même si Me Bent croyait que la liste de diffusion de courriels était confidentielle, elle a parlé à un représentant du magazine à ce sujet et a consenti à la publication du courriel. Selon les juges majoritaires, le courriel constituait une attaque personnelle et Me Bent n’a pas parlé à Dr Platnick à propos de quoi que ce soit avant de l’envoyer. Ils ont conclu que le préjudice subi par Dr Platnick était plus important pour le public que la protection de la liberté d’expression de Me Bent dans cette situation.
D’après les juges majoritaires, le fait qu’un tribunal autorise une poursuite à aller de l’avant en refusant de la qualifier de « poursuite-bâillon » ne garantit pas que cette poursuite sera couronnée de succès. Cela signifie simplement que la personne mérite de se faire entendre par un tribunal. Lors du procès, le tribunal entendra beaucoup plus de témoignages et d’arguments, et disposera donc d’un plus grand nombre d’éléments sur lesquels fonder sa décision.
1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association était une autre affaire concernant les poursuites-bâillons. La Cour a appliqué sa décision dans cette affaire à celle dont il est question ici. Les deux causes ont été instruites le même jour.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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