La cause en bref

Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam)

La Cour suprême conclut que les tribunaux québécois peuvent décider si des travaux miniers causent des dommages au territoire traditionnel des Autochtones même si une partie de ce territoire se situe à Terre-Neuve-et-Labrador.

Les Innus sont membres des Premières Nations. Depuis bien avant l’arrivée des Européens, ils occupent un territoire qui est aujourd’hui le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. Vers 1950, un grand projet minier chevauchant les deux provinces est lancé. Selon les Innus, le projet se déroule sur leur territoire traditionnel, et les compagnies minières ne leur ont pas demandé l’autorisation de procéder à ces travaux miniers. En 2013, les Innus intentent une poursuite contre les compagnies et font valoir que le projet les empêche de jouir de leur territoire et d’y circuler librement. Ils font trois demandes : que les compagnies cessent leurs travaux liés au projet, qu’elles leur versent des dommages-intérêts et que la cour déclare qu’ils ont un titre ancestral et d’autres droits ancestraux à l’égard de leur territoire traditionnel.

La poursuite est intentée au Québec. Les Innus demandent aux tribunaux québécois de faire une déclaration concernant leurs titre et droits ancestraux relativement à l’ensemble de leur territoire traditionnel. Or, une partie de celui-ci se trouve à Terre-Neuve-et-Labrador, dont le gouvernement affirme que les tribunaux québécois n’ont pas compétence pour faire une déclaration qui la touche.

Les tribunaux d’instances inférieurs déclarent que les tribunaux québécois ont compétence pour trancher toutes ces questions.

Les juges majoritaires de la Cour suprême sont d’accord avec les tribunaux d’instances inférieurs. Ils ont examiné les règles applicables aux affaires interprovinciales et se sont intéressés à la nature du titre et des droits ancestraux.

En général, les tribunaux d’une province peuvent entendre les affaires touchant leur province, mais il existe des règles pour les questions qui dépassent les frontières provinciales. Les tribunaux québécois ont le pouvoir de trancher une question si la personne poursuivie (le défendeur) vit au Québec. Cela est vrai, même si la poursuite concerne un événement qui s’est produit à l’extérieur de la province. Toutefois, les règles sont différentes si la poursuite concerne un bien qui se trouve à l’extérieur du Québec. Ici, les deux compagnies minières avaient leur siège à Montréal. Les Innus pouvaient donc s’adresser aux tribunaux québécois pour réclamer des dommages-intérêts et faire cesser les travaux miniers.

Les juges majoritaires ont souligné que le fait d’avoir un titre et des droits ancestraux n’équivaut pas à avoir un titre de propriété. La propriété est une notion de droit civil et de common law (les traditions juridiques héritées des Européens). Le titre ancestral est différent, en ce sens qu’il appartient à un groupe et non à un individu. Il est détenu pour le bénéfice des générations futures, non pas seulement pour celui de la présente génération. On ne peut pas simplement le vendre. Le titre ancestral est en réalité la relation entre « la Couronne » (le Canada) et les groupes autochtones. Dans cette relation, la Couronne a l’obligation d’agir honorablement. C’est ce qu’on appelle « l’honneur de la Couronne ». Les juges majoritaires affirment que le principe de l’honneur de la Couronne doit toujours être interprété de manière à favoriser la réconciliation.

L’article 35 de la Constitution reconnaît explicitement les droits ancestraux — ou issus de traités — des autochtones. Il reconnaît que les peuples autochtones vivaient sur le territoire que nous appelons aujourd’hui le Canada avant l’arrivée des Européens. Il reconnaît aussi la souveraineté de la Couronne (son pouvoir de gouverner).  L’article 35 se veut un moyen de concilier ces deux réalités. Puisque les droits ancestraux sont antérieurs à la souveraineté de la Couronne, les juges majoritaires concluent que les frontières provinciales devraient être sans effet sur les Autochtones. En conséquence, des groupes comme les Innus n’ont pas à mener les mêmes batailles juridiques devant les tribunaux de différentes provinces où le même droit s’applique, ce qui entraînerait des coûts plus élevés et une plus grande confusion que le dédoublement des recours. Les Innus pourraient même être incapables de faire valoir leurs droits, ce qui irait à l’encontre de l’honneur de la Couronne.

La Cour suprême ne tranche pas les demandes des Innus. Elle conclut seulement que les tribunaux québécois ont le pouvoir de faire une déclaration au sujet du titre et des droits ancestraux sur le territoire traditionnel des Innus, et ce, même si une partie du territoire se trouve à Terre-Neuve-et-Labrador — à moins qu’ils jugent plus approprié de laisser les tribunaux de Terre-Neuve-et-Labrador trancher la question. Même si les tribunaux québécois concluaient que le projet viole les droits et titre ancestraux des Innus, ils ne pourraient pas forcer Terre-Neuve-et-Labrador à agir, et les Innus seraient obligés de négocier avec le gouvernement de cette province ou de faire appel à ses tribunaux. 

Ici, la Cour prend en compte les principes de réconciliation et d’honneur de la Couronne. Elle définit la manière dont ces principes doivent intervenir dans le choix du tribunal qui a compétence quant aux droits et titre ancestraux. La Cour s’est déjà penchée sur le principe de l’honneur de la Couronne dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil).

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.