La cause en bref

R. c. K.J.M.

  • La décision
  • Date : le 15 novembre 2019
  • Référence neutre : 2019 CSC 55
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : le juge Michael Moldaver a rejeté l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Gascon, Côté et Rowe)
    • Dissidence : les juges Rosalie Silberman Abella et Russell Brown ont affirmé qu’il faudrait appliquer un délai plus court de 15 mois aux procès des adolescents pour tenir compte de l’effet dommageable unique des délais sur eux, et ils auraient accueilli l’appel (avec l’accord de la juge Martin)
    • Dissidence : la juge Andromache Karakatsanis était d’accord avec les juges majoritaires pour dire que les délais maximaux applicables aux procès pour adultes s’appliquent aussi aux procès pour adolescents, mais elle a souligné qu’il est encore plus important de traiter les dossiers rapidement pour les adolescents que pour les adultes; elle aurait donc ordonné l’arrêt du procès de KJM
  • En appel de la Cour d’appel de l’Alberta
  • Renseignement sur le dossier (38292)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs :

La Cour suprême a décidé que les délais maximums applicables aux procès pour adultes s’appliquent aussi aux procès pour adolescents.

En avril 2015, KJM avait 15 ans. Il s’est battu et a poignardé une personne au visage et à la tête avec un couteau à lame rétractable. Il a été accusé de plusieurs crimes pour lesquels il a invoqué la légitime défense et plaidé non coupable.

Son procès a été fixé à septembre 2015, mais il a d’abord fallu traiter d’une autre question au sujet d’un élément de preuve. Le procès a donc dû être remis à la première date disponible, soit six mois plus tard. Ce jour-là, KJM est arrivé en retard et l’audition n’a pas pu être terminée avant la fin de l’audience. La prochaine date disponible était quatre mois plus tard. Un retard dans la préparation d’une transcription a aussi causé un délai.

Entre temps, la Cour suprême a rendu une importante décision dans R. c. Jordan. Cette décision a établi de nouvelles règles pour décider quand un procès criminel est trop long. Au Canada, toute personne accusée d’un crime a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable. Ce droit découle de l’alinéa 11b) de la Charte des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution du Canada. Si le délai entre la mise en accusation et la fin du procès est trop long, la cour peut mettre fin à la poursuite. C’est ce qui s’appelle un « arrêt des procédures ». La décision Jordan a établi que la plupart des procès devraient être terminés dans un délai de 18 ou 30 mois après la mise en accusation, selon le type de procès. Si un procès est plus long, il convient de prononcer un « arrêt des procédures » à moins que la poursuite puisse démontrer qu’il existe une raison valable justifiant qu’il devrait continuer. Un procès qui prend moins de temps que le délai fixé peut aussi être arrêté si la défense a essayé de faire avancer le dossier rapidement et que le procès a pris « nettement » plus longtemps qu’il aurait dû prendre. La décision Jordan a aussi créé des règles particulières pour les causes déjà en cours quand les règles ont changé, comme celle de KJM. Ce sont les causes « transitoires ».

En octobre, un peu plus de 18 mois après avoir été accusé, KJM a demandé un arrêt des procédures. Il a plaidé que, d’après Jordan, son procès aurait dû se terminer plus tôt. La juge du procès n’était pas d’accord. Peu de temps après, KJM a été déclaré coupable de voies de fait et d’une infraction liée aux armes.

Les juges majoritaires de la Cour d’appel étaient d’accord pour dire que le procès de KJM n’avait pas été trop long.

La Cour suprême devait décider si les délais prévus dans Jordan pour les procès criminels des adultes s’appliquent aussi à ceux des adolescents. Les juges majoritaires ont jugé que oui. Selon eux, les règles établies par la décision Jordan sont suffisamment souples pour s’appliquer à tous les accusés, quelle que soit leur situation. Les juges majoritaires ont tout de même noté qu’il est particulièrement important que les procès se déroulent rapidement dans le cas des adolescents, parce qu’ils ont tendance à avoir une vision à plus court terme des conséquences que les adultes. Ils ont aussi besoin de prendre de la maturité pendant leur adolescence. Les longs délais créent du stress et de l’anxiété et nuisent aux changements positifs. Les juges majoritaires ont affirmé que l’ensemble du système de justice pour adolescents doit respecter cette réalité.

Les juges majoritaires ont aussi conclu que les juges doivent tenir compte de l’âge d’une personne quand un procès dure moins de 18 ou 30 mois. Chaque cas est différent, mais un procès qui n’est pas trop long pour un adulte peut être trop long pour un adolescent.

Dans ce cas-ci, il s’est écoulé un total de presque 19 mois entre le moment où KJM a été mis en accusation et celui où il a été déclaré coupable. Pour les juges majoritaires, ce délai n’était pas, dans les faits, plus long que le plafond fixé dans Jordan. Ils en sont arrivés à cette conclusion après avoir déduit, comme le prévoient les règles établies dans Jordan, trois à quatre mois de délai causé par la défense et par le problème de transcription. Même si la défense a essayé de faire avancer les choses rondement, les juges majoritaires n’ont pas été convaincus que le procès avait pris beaucoup plus longtemps qu’il aurait dû prendre. Ils ont aussi tenu compte du fait que Jordan a été décidé 15 mois après le dépôt des accusations contre KJM. C’était donc une cause « transitoire ». En fin de compte, les juges majoritaires ont confirmé la décision de la juge du procès.

Même si cela ne s’appliquait pas à KJM, les juges majoritaires ont précisé que le temps passé à l’extérieur du système judiciaire à traiter la situation des jeunes contrevenants ne devrait pas compter dans les délais fixés par la décision Jordan. Cela comprend le temps consacré, par exemple, à de la thérapie ou à des programmes de service communautaire. Il faut encourager l’utilisation des moyens autres que les poursuites pour traiter la criminalité chez les jeunes, puisqu’ils peuvent donner de meilleurs résultats.

Cette cause portait sur le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Ce droit ne profite pas seulement aux personnes accusées de crimes. Il protège aussi les droits des victimes, des témoins, et de la société dans son ensemble. Lorsque les procès se déroulent plus rapidement, les victimes et les témoins sont moins préoccupés et moins frustrés, et ils peuvent passer à autre chose. La société profite aussi d’une justice rendue rapidement et ceux qui sont accusés de crimes sont traités équitablement.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.