La cause en bref

R. c. Goldfinch

  • La décision
  • Date : le 28 juin 2019
  • Référence neutre : 2019 CSC 38
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : la juge Andromache Karakatsanis a rejeté l’appel (avec l’accord des juges Abella, Gascon et Martin)
    • Concordance : le juge Michael Moldaver aurait également rejeté l’appel et ordonné la tenue d’un nouveau procès, mais il aurait laissé au juge présidant ce nouveau procès le soin de décider de l’existence ou non d’un fondement juridique pour admettre en preuve l’information sur la relation « amis-amants » (avec l’accord du juge Rowe)
    • Dissidence : le juge Russell Brown a affirmé que la juge du procès a eu raison d’admettre la preuve. Il aurait accueilli l’appel et confirmé les acquittements.
  • En appel de la Cour d’appel de l’Alberta
  • Renseignement sur le dossier (38270)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs :

La Cour suprême a jugé que, dans une cause d’agression sexuelle, un jury n’aurait pas dû apprendre qu’un accusé et une plaignante entretenaient une relation d’« amis-amants ».

M. Goldfinch a fréquenté et vécu avec une femme durant un certain temps. Elle a mis fin à la relation, mais ils ont ensuite repris contact. Ils considéraient que leur relation en était une d’« amis-amants ».

Un soir en 2014, la femme était chez M. Goldfinch. Ils ont pris un verre avec le colocataire de ce dernier. La femme affirme avoir dit à M. Goldfinch qu’ils n’auraient pas de relations sexuelles ce soir-là, mais celui-ci soutient ne pas avoir entendu cela. Ils se sont embrassés sur le canapé, puis M. Goldfinch a dit qu’ils devraient aller au lit. Leurs versions des faits diffèrent pour ce qui est de la suite des choses.

Selon M. Goldfinch, il a suivi la femme dans sa chambre, ils ont tous les deux enlevé leurs propres vêtements, puis ils ont eu une relation sexuelle; il s’est ensuite endormi et elle l’a réveillé plus tard, prétendant qu’il l’avait frappée à la tête durant son sommeil. Il a dit avoir été irrité et avoir demandé à la femme de partir.

Selon la femme, elle avait informé M. Goldfinch qu’elle ne voulait pas avoir des relations sexuelles, mais il l’a trainée jusqu’à la chambre et c’était comme si quelque chose « s’était brisé » en lui. Elle a soutenu qu’il l’a poussée sur le lit, qu’il l’a frappée et qu’il l’a forcée à avoir une relation sexuelle.

M. Goldfinch a été accusé d’agression sexuelle. Il voulait informer le jury que la femme et lui étaient des « amis-amants ». À ses yeux, il s’agissait d’un contexte important que les jurés devaient connaître. Selon lui, si les jurés s’imaginaient qu’il ne s’agissait pas d’une relation de nature sexuelle, il ne pourrait pas se défendre adéquatement. Il voulait que le jury sache spécifiquement que, à titre d’« amis-amants », ils avaient des relations sexuelles à l’occasion. Le ministère public (le poursuivant) a consenti à dire au jury qu’ils s’étaient fréquentés, qu’ils avaient vécu ensemble et que, à l’occasion, la femme restait chez lui pour la nuit.

Une personne qui en accuse une autre d’avoir commis un crime (comme la femme ici) est une « plaignante ». Dans les causes d’agression sexuelle, le Code criminel prévoit des règles sur ce que la défense et le ministère public peuvent dire quant aux antécédents sexuels de la plaignante. Les procès visent la recherche de la vérité. Certaines personnes croient toutefois certains mythes et stéréotypes quant aux femmes et à leurs antécédents sexuels. Ceux-ci nuisent à la recherche de la vérité. Selon un de ces mythes, une personne qui a consenti à des relations sexuelles dans le passé est plus susceptible d’y consentir de nouveau. Il n’est pas permis de présenter au procès des éléments de preuve susceptibles d’appuyer ce mythe, sauf s’ils sont pertinents et utiles à d’autres fins importantes.

La juge du procès a autorisé M. Goldfinch à informer le jury du fait que la plaignante et lui étaient « amis-amants » parce qu’il s’agissait d’un « contexte » important pour comprendre leur relation. Le jury a rendu un verdict d’acquittement. Le ministère public a interjeté appel. La Cour d’appel a jugé que M. Goldfinch n’aurait pas dû être autorisé à présenter la preuve en cause. Dire que la preuve fournissait un « contexte » n’était pas suffisant pour l’emporter sur le risque que le jury prenne sa décision en se fondant sur un mythe (soit celui selon lequel parce qu’une femme a consenti à des rapports sexuels dans le passé, elle est plus susceptible de dire oui au moment en cause).

Les juges majoritaires de la Cour suprême sont d’accord pour dire qu’il n’aurait pas fallu autoriser la présentation de la preuve. Bien que, M. Goldfinch a dit que la preuve servait à donner un « contexte », elle n’ajoutait rien d’utile pour aider le jury à décider de sa culpabilité. En l’espèce, informer le jury de la relation de nature sexuelle que M. Goldfinch entretenait avec la femme n’avait qu’une utilité : suggérer qu’elle avait consenti à des relations sexuelles dans le passé et qu’elle était donc plus susceptible d’y consentir ce soir-là également. Cela est faux, puisque le consentement à des relations sexuelles ne vaut pas d’une fois à l’autre. Le consentement doit être donné, et communiqué, lors de chaque activité sexuelle. En laissant le jury entendre la preuve, la juge a commis une erreur de droit. Elle aurait dû exiger que M. Goldfinch démontre l’utilité de la preuve pour une autre raison importante. Les juges majoritaires ont ordonné la tenue d’un nouveau procès durant lequel les règles relatives à l’utilisation des antécédents sexuels de la plaignante seront respectées.

La Cour suprême a été saisie de la cause en tant qu’appel « de plein droit ». Cela signifie qu’il existe un droit automatique d’appel, sans que la personne n’ait besoin d’obtenir d’autorisation de la Cour. Le droit d’appel est automatique dans les causes en matières criminelles lorsqu’un des juges de la Cour d’appel a été dissident (en désaccord) sur une question de droit, comme cela a été le cas ici. La Cour a déjà traité de la preuve des antécédents sexuels dans R. c. Barton.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.