La cause en bref

Yared c. Karam

La Cour suprême a jugé que les règles québécoises sur les biens familiaux s’appliquent à une résidence familiale détenue par une fiducie que contrôle un des conjoints.

Au Québec, le mariage entraîne la création d’un « patrimoine familial ». Il comprend habituellement les biens tels que la résidence de la famille, les voitures et les meubles. Ces biens peuvent appartenir aux deux époux ou à un seul d’entre eux. Le patrimoine familial peut aussi comprendre une résidence familiale dont un époux n’est pas propriétaire, mais qu’il peut utiliser. Selon la Code civil du Québec, « les droits qui [. . .] confèrent l’usage » sont inclus dans le patrimoine familial. Si le mariage prend fin, ce patrimoine est pratiquement toujours divisé également entre les deux époux.

M. Karam et Mme Yared se sont mariés en 1998. Ils ont eu quatre enfants. En 2011, Mme Yared a appris qu’elle était atteinte d’un cancer incurable. M. Karam a décidé de constituer une fiducie pour le bénéfice des enfants.

En droit québécois, une fiducie consiste en un patrimoine sans propriétaire. Elle n’appartient à personne. Une fiducie peut avoir des constituants, des fiduciaires et des bénéficiaires qui la créent, la contrôlent et en tirent un avantage, mais les biens en fiducie ne finissent jamais par faire partie du patrimoine personnel de qui que ce soit. Quand M. Karam a constitué la fiducie, il ne l’a pas fait pour contourner les règles qui concernent le patrimoine familial. Il voulait seulement protéger les actifs de la famille.

En 2012, les époux ont versé de l’argent dans la fiducie pour acheter une résidence à Montréal. Celle-ci valait plus de 2 millions de dollars. M. Karam a affirmé qu’il voulait acheter une résidence qui pourrait être à la fois la résidence de la famille et un investissement qui pourrait bénéficier aux enfants.

En 2014, Mme Yared a quitté la résidence familiale et intenté un recours en divorce. Elle a rédigé un testament et divisé ses biens en quatre fiducies, une pour chaque enfant. Elle est décédée en 2015, avant que le divorce ne soit finalisé.

Les frères de Mme Yared sont les liquidateurs (exécuteurs) de sa succession. En 2016, ils ont demandé à une cour d’inclure la valeur de la résidence détenue par la fiducie dans le patrimoine familial. Si l’un des époux avait été propriétaire de la résidence, elle aurait fait partie du patrimoine familial; mais M. Karam a soutenu qu’elle ne devrait pas en faire partie parce qu’elle était détenue par la fiducie.

Selon le juge du procès, la valeur de la résidence devrait être incluse, même si ni l’un ni l’autre des époux n’en était directement propriétaire. La Cour d’appel a plutôt jugé que la résidence ne faisait pas partie du patrimoine familial.  

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont affirmé que la valeur de la résidence doit être incluse dans le patrimoine familial. À leur avis, même si ni l’un ni l’autre des époux n’était propriétaire de la résidence familiale, M. Karam détenait « des droits qui en confér[aient] l’usage ». Même si les fiduciaires ne sont pas propriétaires des biens placés en fiducie, le contrôle qu’ils exercent sur ces biens peut leur donner « des droits qui en confèrent l’usage ». Ici, les juges majoritaires ont conclu que M. Karam avait le contrôle de la résidence familiale. Il avait le pouvoir de décider qui pouvait l’utiliser et qui avait un droit sur sa valeur.

Pour les juges majoritaires, le fait qu’un époux a transféré la résidence à une fiducie ou que, comme ici, la fiducie l’a directement acheté n’a pas d’importance.

Les règles qui concernent le patrimoine familial sont des règles « d’ordre public », ce qui veut dire qu’il n’est pas permis de les contourner, par exemple, en signant un contrat qui prévoit quelque chose de différent. Les règles s’appliquent quand même, parce qu’elles sont censées protéger les époux vulnérables et les placer sur un pied d’égalité avec leur conjoint lorsque le mariage prend fin.

Les fiducies sont un exemple de l’effet qu’ont les deux grandes traditions de droit au Canada, la common law et le droit civil, l’une sur l’autre. La fiducie est un concept de common law. Elle a toutefois été introduite dans le droit civil québécois dans les années 90, au moment de l’adoption du nouveau Code civil. La fiducie de common law est une sorte de propriété conjointe. Par contre, la fiducie de droit civil constitue un transfert d’un bien à un patrimoine indépendant qui n’appartient à personne.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.