La cause en bref
R. c. Le
- La décision
- Date : le 31 mai 2019
- Référence neutre : 2019 CSC 34
- Décompte de la décision :
- Majorité : les juges Russell Brown et Sheilah Martin ont accueilli l’appel (avec l’accord de la juge Karakatsanis)
- Dissidence : le juge Michael Moldaver a affirmé qu’il y avait lieu de confirmer les conclusions du juge du procès concernant la façon dont les policiers ont agi et, puisque les gestes posés par ces derniers n’étaient pas graves et que l’intérêt du public à ce que les accusations fassent l’objet d’une poursuite était grand, il aurait rejeté l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner)
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (37971)
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La preuve trouvée sur un jeune homme racialisé qui était détenu par la police en l’absence de soupçons raisonnables ne peut servir contre lui en cour, a jugé la Cour suprême.
Un soir, en 2012, M. Le et quatre amis flânaient et parlaient dans une cour arrière. Trois policiers les ont vus. Ces derniers n’avaient pas été appelés sur les lieux pour une raison en particulier. Ils n’avaient pas de mandat. On leur avait simplement dit qu’il s’agissait d’un « endroit problématique » concernant le trafic de drogue et qu’un suspect recherché y trainait parfois. Ils n’ont pas vu les hommes faire quoi que ce soit de mal. Malgré cela, les policiers sont entrés dans la cour sans demander la permission. Ils ont interrogé les hommes, ont dit à l’un d’entre eux de garder ses mains bien en vue et leur ont demandé des pièces d’identité.
Monsieur Le a déclaré ne pas avoir de pièce d’identité sur lui. Le policier lui a demandé ce que renfermait le sac qu’il transportait. C’est à ce moment que M. Le a pris la fuite. Il a été arrêté et trouvé en possession d’une arme à feu, de drogue et d’argent comptant. Il a été accusé de 10 crimes en lien avec ces articles.
À son procès, M. Le a fait valoir que les articles trouvés en sa possession ne pouvaient servir de preuve contre lui. Selon lui, la police avait porté atteinte à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte fait partie de la constitution canadienne. L’article 9 prévoit que « chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires ». Cela signifie que la police ne peut détenir des individus ou les emprisonner sans motif légal. Le paragraphe 24(2) énonce que les éléments de preuve obtenus d’une manière qui porte atteinte aux droits d’un individu ne peuvent être utilisés si leur utilisation « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Cela signifie qu’ils ne peuvent être utilisés si leur admission faisait en sorte que les gens perdraient confiance dans le système de justice et dans les lois censées les protéger.
Tous étaient d’accord pour dire que les policiers n’avaient pas l’autorité légale requise pour forcer M. Le et ses amis à répondre à leurs questions, à suivre leurs instructions et à fournir des pièces d’identité. Tous étaient également d’accord pour dire que M. Le avait été détenu à un certain moment. La question consistait à savoir quand exactement il l’avait été et s’il y avait un quelconque motif légal justifiant cette détention.
Le juge du procès a affirmé que M. Le n’était pas détenu jusqu’à ce qu’on le questionne au sujet de son sac. Le juge a conclu que la détention était légale parce que les policiers avaient alors des soupçons raisonnables concernant un crime (ils croyaient que M. Le détenait peut-être une arme à feu). Il a reconnu M. Le coupable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé cette décision.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont statué que la détention était illégale. Selon eux, les gestes posés par les policiers étaient choquants à un point tel que les articles qu’ils avaient trouvés lors de la détention de M. Le ne pouvaient servir contre lui en cour.
Les juges majoritaires ont affirmé qu’un individu est « détenu » lorsqu’une personne ordinaire se trouvant dans la même situation estimerait qu’elle n’est pas libre de partir et qu’elle est tenue de se conformer aux ordres des policiers. Monsieur Le était issu d’une communauté racialisée dans un quartier défavorisé. Les personnes issues des minorités raciales ou vivant dans des quartiers défavorisés ont souvent des interactions avec les policiers plus négatives que les autres. Une personne ordinaire ayant déjà été interpellée à plusieurs reprises par la police aurait l’impression de devoir se conformer à ce que lui dit la police. Les juges majoritaires ont conclu que M. Le avait été mis en détention dès l’entrée des policiers dans la cour arrière.
Les juges majoritaires ont souligné que les policiers sont entrés sans avertissement et sans avoir de soupçons raisonnables concernant un crime. (Que quelqu’un leur ait simplement dit qu’il y avait trafic de drogue n’était pas suffisant.) En l’absence de soupçons raisonnables, leurs gestes étaient illégaux. De l’avis des juges majoritaires, c’est justement contre ce type de comportements que la Charte vise à protéger la population.
Les policiers ont obtenu la preuve contre M. Le en entrant dans la cour arrière et en le détenant sans motif légal. Les juges majoritaires ont affirmé que si un tel comportement était approuvé, les gens perdraient confiance dans le système de justice. Les policiers sont tenus de respecter la Charte dans tous les quartiers et à l’égard de toutes les personnes, indépendamment de leur origine ethnique ou de leur revenu. Cela favorise la confiance de la population envers la loi et les policiers en plus d’aider à rendre nos collectivités plus sécuritaires. Les juges majoritaires ont déclaré que la preuve incriminante au sujet de M. Le trouvée par les policiers ne pouvait être utilisée contre lui. Ils ont inscrit un verdict de non-culpabilité à l’égard des accusations. Il en était ainsi non pas parce que la Charte ne s’intéresse pas à la violence, à la drogue ou à la sécurité des collectivités, mais bien en raison de la gravité des gestes illégaux commis par les policiers.
Cette affaire s’est retrouvée devant la Cour suprême dans le cadre d’un appel « de plein droit ». Il s’agit d’un droit d’interjeter appel qui est automatique et qui ne requiert pas l’autorisation de la Cour. Le droit d’interjeter appel dans les affaires criminelles est automatique lorsqu’un juge de la cour d’appel est dissident (ne partage pas l’opinion des juges majoritaires) au sujet d’une question de droit, comme c’était le cas dans cette affaire.
Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.
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