La cause en bref
Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc.
- La décision
- Date : le 28 novembre 2019
- Référence neutre : 2019 CSC 58
- Décompte de la décision :
- Majorité : les juges Clément Gascon, Suzanne Côté et Malcolm Rowe ont accueilli l’appel (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis et Martin)
- Concordance : le juge en chef Wagner et le juge Russell Brown ont dit que le seul vrai problème dans cette cause était le contrat, qui relève de la compétence provinciale, donc le droit contractuel québécois s’applique (avec l’accord de la juge Abella)
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37873)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs :
- Jugement (Cour supérieure du Québec) (en anglais seulement)
- Appel (Cour d’appel du Québec) (certains motifs sont en anglais)
- Explorez la Cour
Le droit contractuel provincial, et non le droit maritime fédéral, s’applique à un contrat de vente de pièces de moteur de navire, conclut la Cour suprême.
Transport Desgagnés est une compagnie de transport maritime au Québec. Wärtsilä est une compagnie qui fabrique et vend des moteurs de navire. En 2006, Transport Desgagnés commande des pièces pour un million de dollars afin de réparer le moteur d’un navire. Le contrat prévoit que Wärtsilä n’aura pas à payer plus de 50 000 € si les pièces ne fonctionnent pas. Trois ans plus tard, le moteur du navire subit un bris majeur. L’une des pièces se révèle défectueuse depuis le tout début. Transport Desgagnés poursuit Wärtsilä pour les coûts de réparation du navire et pour ses pertes de profits, soit plus de 5,6 millions de dollars.
La question dans cette affaire est de déterminer quel ensemble de règles de droit s’applique. Lorsque des parties concluent un contrat, elles peuvent y prévoir le droit qui s’applique. Puisqu’elles y consentent toutes deux en signant le contrat, les tribunaux respectent généralement leur choix. Ici, le contrat ne mentionne pas quel droit s’applique, si bien que les tribunaux doivent décider. Il y a deux possibilités. La première est le droit contractuel provincial. Au Québec, c’est le droit civil qui se trouve dans le Code civil. Selon ces règles, Wärtsilä ne peut pas limiter sa responsabilité légale par une clause dans le contrat. Cela signifie qu’elle est responsable pour la pièce défectueuse et qu’elle doit payer tous les coûts de Transport Desgagnés. La seconde possibilité est le droit maritime fédéral. Il s’agit d’un système de droit distinct, comme la common law ou le droit civil, qui couvre toutes sortes de litiges liés de près à la navigation et au transport maritime. Si le droit maritime fédéral s’applique, Wärtsilä n’est pas responsable pour la pièce défectueuse. Elle n’a qu’à payer ce que le contrat prévoit.
Deux ensembles de règles de droit peuvent s’appliquer ici parce que les gouvernements provinciaux et fédéral ont des compétences différentes. Ces compétences sont énoncées dans la Constitution du Canada. La Constitution prévoit que le gouvernement fédéral a compétence sur la navigation et le transport maritime. Les gouvernements provinciaux ont compétence sur les droits de propriété et les droits civils. Les contrats relèvent généralement de la compétence provinciale.
La juge du procès a dit que le droit contractuel provincial s’appliquait. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont dit que le droit maritime fédéral s’appliquait.
Tous les juges de la Cour suprême ont conclu que le droit contractuel provincial s’appliquait (bien que certains aient tiré cette conclusion pour des raisons très différentes). Cela signifie que Wärtsilä doit payer la totalité des 5,6 millions de dollars.
Les juges majoritaires ont noté que les litiges ne peuvent pas toujours être facilement divisés entre les compétences fédérales et provinciales. Dans ces cas, les tribunaux doivent être flexibles. Lorsqu’il y a chevauchement, ils doivent tenter de s’assurer que les deux niveaux de gouvernement aient, autant que possible, un rôle à jouer.
Les juges majoritaires ont affirmé que la vente de pièces de moteur de navire tombait sous le coup du droit maritime fédéral parce que celle-ci est en lien étroit avec la navigation et le transport maritime, une compétence fédérale. En revanche, la vente de biens est également régie par les droits de propriété et les droits civils, sur lesquels les provinces ont compétence. En droit constitutionnel, une situation de ce genre se nomme un « scénario à double aspect ». Cela signifie que les deux niveaux de gouvernement ont compétence en même temps. Lorsque cela se produit, les tribunaux doivent se demander s’il y a une raison pour laquelle la compétence d’un seul des deux gouvernements devrait s’appliquer. En droit constitutionnel, deux des raisons possibles sont « l’exclusivité des compétences » et la « prépondérance fédérale ». « L’exclusivité des compétences » s’applique quand la situation touche au contenu essentiel d’une compétence, et qu’en conséquence l’autre niveau de gouvernement n’a pas le droit d’entraver celui-ci. Dans ce cas, l’un des gouvernements a l’« exclusivité » à l’égard de la compétence de l’autre. La « prépondérance fédérale » s’applique lorsque des lois adoptées par le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial sont en conflit. Selon ce principe, la loi fédérale l’emporte, et les parties de la loi provinciale qui sont incompatibles avec elle ne sont pas appliquées.
Dans cette affaire, les juges majoritaires ont dit que les contrats de vente de pièces de moteur de navire ne sont pas liés au contenu essentiel de la navigation et du transport maritime. Cela signifie que la compétence fédérale n’exclut pas la compétence provinciale. La première raison (l’exclusivité des compétences) ne s’applique donc pas. Pour ce qui est de la seconde raison, les juges majoritaires ont souligné que la prépondérance fédérale a pour but de faire en sorte que les législatures provinciales ne l’emportent pas sur le Parlement fédéral. Mais le droit maritime fédéral est principalement basé sur les décisions des tribunaux et les coutumes, pas sur des lois écrites et adoptées par le Parlement. Les décisions des tribunaux et les coutumes ne peuvent écarter les lois créées par les législatures, comme le Code civil du Québec. Cela signifie que la seconde raison, la prépondérance fédérale, ne s’applique pas. En conséquence, le droit contractuel provincial s’applique et Wärtsilä doit payer la totalité des 5,6 millions de dollars.
Le droit maritime tire ses origines à la fois de la common law et du droit civil. C’est l’un des plus anciens ensembles de règles de droit. Les affaires maritimes étaient autrefois entendues par des tribunaux distincts, mais aujourd’hui elles sont entendues par les tribunaux habituels.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
Explorez la Cour: Les juges de la Cour | Le rôle de la Cour | Visitez la Cour
- Date de modification :