La cause en bref
R.S. c. P.R.
- La décision
- Date : le 25 octobre 2019
- Référence neutre : 2019 CSC 49
- Décompte de la décision :
- Majorité : le juge Clément Gascon a accueilli l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis et Martin)
- Concordance : la juge Rosalie Silberman Abella aurait accueilli l’appel au motif qu’une décision rendue en vertu d’une loi belge permettant à un époux de révoquer des donations allait à l’encontre de l’approche adoptée par le Québec et la communauté internationale à l’égard de l’égalité des époux, et ne serait pas reconnue au Québec
- Dissidence : le juge Russell Brown a affirmé que la juge de première instance avait commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération le risque de jugements contradictoires et aurait donc rejeté l’appel
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37861)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs :
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La Cour suprême juge qu’un tribunal québécois n’a pas toujours à suspendre ses procédures quand un tribunal étranger entend le même litige.
De nos jours, la vie ne connait pas de frontières, mais les lois et les tribunaux sont locaux. Le « droit international privé » est la branche du droit qui traite de cela. Par exemple, un tribunal peut décider de ne pas entendre une cause si un autre pays a des liens plus solides avec celle-ci. Le tribunal d’un pays peut même appliquer les lois d’un autre pays.
Deux personnes font connaissance en France et se marient en Belgique. Elles déménagent ensuite au Québec avec leurs enfants. En 2014, l’époux demande le divorce en Belgique. Trois jours plus tard, l’épouse demande le divorce au Québec. L’époux indique par la suite qu’il révoque toutes les donations qu’il a faites à l’épouse. Le droit belge prévoit qu’il peut le faire. Les donations s’élèvent à plus de 33 millions de dollars et comprennent la moitié de la résidence familiale au Québec.
L’époux demande au tribunal québécois de « surseoir » à la procédure de l’épouse (c’est à dire de la suspendre en attendant la décision belge) parce que les tribunaux de deux pays se prononceront sur la même cause et pourront rendre des décisions contradictoires. C’est l’un des problèmes que le droit international privé cherche à éviter. L’épouse demande également au tribunal belge de suspendre la cause de l’époux. Selon elle, la loi belge permettant à l’époux de révoquer les donations est inconstitutionnelle.
Il y a trois conditions à remplir pour que les tribunaux québécois puissent envisager de suspendre des procédures afin d’attendre qu’une décision soit rendue dans un autre pays. Premièrement, une personne doit avoir fait appel au tribunal d’un autre pays en premier. Deuxièmement, les causes dans les deux pays doivent porter sur le même litige. Troisièmement, il doit être possible que la décision étrangère (à venir) soit reconnue au Québec. Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, le tribunal québécois ne peut pas surseoir. Même si les trois conditions sont remplies, le tribunal québécois a toujours le « pouvoir discrétionnaire » de ne pas surseoir. Le pouvoir discrétionnaire est la liberté du tribunal de se prononcer sur certaines questions. Mais cette liberté a ses limites.
La juge de première instance au Québec a conclu que la troisième condition n’était pas remplie. Elle a affirmé que les tribunaux québécois ne reconnaîtraient pas une décision belge ayant pour effet de révoquer les donations parce que la loi belge était discriminatoire envers les personnes mariées. La cause devait donc continuer au Québec. La juge de première instance a déclaré que, même si toutes les conditions étaient remplies, elle n’aurait quand même pas usé de son pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures au Québec.
La Cour d’appel a pour sa part jugé que toutes les conditions étaient remplies. À son avis, la troisième condition était respectée s’il était possible que la décision belge soit reconnue au Québec. Elle a décidé que les procédures relatives au divorce et au partage des biens devaient être suspendues au Québec. (D’autres questions liées aux enfants et à la pension alimentaire pouvaient procéder.) Elle a également affirmé que la juge de première instance avait commis des erreurs graves dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Dans l’intervalle, les tribunaux belges ont déclaré qu’ils devraient se prononcer sur la plupart des questions.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont souscrit à la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle l’époux satisfaisait aux trois conditions applicables pour qu’il soit possible d’accorder un sursis. Les juges majoritaires ont déclaré que, même si on ne pouvait être certain que la décision belge serait reconnue au Québec, l’époux en avait fait assez pour démontrer qu’elle pourrait l’être.
Les juges majoritaires ont toutefois statué que la décision de la juge de première instance d’entendre l’affaire devrait quand même être maintenue. Même quand les trois conditions sont remplies, les tribunaux québécois ne doivent pas automatiquement suspendre leurs procédures. Un ou une juge peut toujours décider qu’il est opportun d’entendre un litige au Québec, par exemple parce que cette province présente des liens étroits avec le litige. Ici, la résidence familiale (d’une valeur de plus de six millions de dollars) était située au Québec. Une décision québécoise aurait une certaine utilité même si la Belgique ne la reconnaissait pas. Sans se dire d’accord avec toute l’analyse de la juge de première instance, les juges majoritaires ont ajouté que la Cour d’appel n’aurait pas dû intervenir. Sur les questions qui touchent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, le ou la juge des faits est mieux placé pour se prononcer. Les tribunaux d’appel peuvent intervenir uniquement si le ou la première juge a commis une erreur de droit ou de fait sérieuse. Une simple divergence d’opinions ne suffit pas. Les juges majoritaires ont déterminé que la juge de première instance n’avait pas commis une telle erreur en l’espèce.
La Cour suprême a déjà traité d’enjeux de droit international privé dans Barer c. Knight Brothers LLC et Haaretz.com c. Goldhar.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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