La cause en bref
R. c. Rafilovich
- La décision
- Date : le 8 novembre 2019
- Référence neutre : 2019 CSC 51
- Décompte de la décision :
- Majorité : la juge Sheilah Martin a accueilli l’appel (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Gascon, Brown et Rowe)
- Dissidence partielle : le juge Michael Moldaver a dit que, pour s’assurer que le crime ne paie pas, M. Rafilovich devrait avoir l’obligation de rembourser les produits de la criminalité dépensés pour les services de son avocat à moins que la prestation de ces services se soit avérée nécessaire pour protéger son droit à un procès équitable; cependant, comme le dossier n’était pas clair sur ce point, l’affaire devrait être renvoyée au juge chargé de déterminer la peine pour qu’il tranche la question (avec l’accord du juge en chef Wagner et de la juge Côté)
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (37791)
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- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
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Le juge n’est pas tenu d’obliger une personne à payer une amende équivalente aux revenus tirés d’un crime qu’elle a utilisés (sur autorisation) pour payer sa défense, a tranché la Cour suprême.
Les gens ne devraient pas tirer profit de leurs crimes. Les biens obtenus par le crime s’appellent des « produits de la criminalité ». Selon le Code criminel, le ministère public (la poursuite) peut prendre les biens qui constituent probablement des produits de la criminalité. Les biens sont détenus pendant le procès de leur propriétaire. Si la personne est reconnue non coupable et on ne prouve pas que les biens sont des produits de la criminalité, elle peut les récupérer. En cas de déclaration de culpabilité, le ministère public peut les garder si le juge l’y autorise.
Privé des biens saisis, l’accusé n’a peut-être pas les moyens de recourir aux services d’un avocat pour se défendre. Le Code criminel précise qu’il peut demander au juge d’autoriser l’utilisation d’une partie des biens pour payer les frais juridiques. Si le juge accepte, il peut fixer des conditions pour veiller à ce que l’argent serve uniquement à payer les frais juridiques.
En cas de déclaration de culpabilité, le juge décide de la peine à infliger. Ce juge doit aussi décider exactement quels biens proviennent d’un crime. Normalement, le ministère public les garde. Si la somme détenue par le ministère public lors de la détermination de la peine est inférieure à la somme qui, selon le juge, découle d’un crime, le juge peut obliger la personne à payer une amende. Cette amende vise à empêcher les gens de dépenser ou de dissimuler les produits de la criminalité avant qu’ils soient enlevés en permanence. En cas de défaut de paiement, la personne peut aller en prison (ou y rester plus longtemps).
Monsieur Rafilovich a été arrêté pour trafic de drogue. Les policiers ont trouvé presque 50 000 $ en cocaïne et 42 000 $ en argent comptant. Le ministère public a saisi l’argent car il s’agissait probablement de produits de la criminalité. En 2009, avant son procès, M. Rafilovich a demandé l’autorisation d’utiliser l’argent pour payer son avocat. Le juge a donné son accord et fixé un certain nombre de conditions, y compris un tarif horaire et le nombre maximal d’heures que l’avocat pouvait facturer.
Monsieur Rafilovich a plaidé coupable et il a été condamné à une peine d’emprisonnement. Le juge a décidé que l’argent retrouvé par les policiers était un produit de la criminalité. L’argent a toutefois disparu parce qu’il a entièrement servi à payer l’avocat de M. Rafilovich. Le ministère public a mentionné que M. Rafilovich devrait tout de même être obligé de payer la somme totale en guise d’amende. Mais le juge chargé de déterminer la peine a dit « non ». Monsieur Rafilovich a seulement utilisé l’argent pour embaucher un avocat, ce qu’il n’aurait pas été en mesure de faire si l’argent n’avait pas été restitué.
La Cour d’appel a dit que le juge chargé de déterminer la peine devait imposer l’amende. Selon elle, payer un avocat avec des produits de la criminalité revient à laisser M. Rafilovich bénéficier de son crime. La saisie de produits de la criminalité visait à empêcher les gens de bénéficier de leurs crimes. La Cour d’appel a imposé à M. Rafilovich une amende de presque 42 000 $.
Dans le passé, les tribunaux inférieurs ont divergé d’opinions sur ce qu’il convient de faire en pareille situation. La Cour suprême devait décider quoi faire quand un accusé obtient du juge la permission d’utiliser ce qui constitue peut-être des produits de la criminalité pour payer des frais juridiques.
La majorité a dit que le juge peut décider d’imposer ou non une amende, selon la situation en cause. Le juge chargé de déterminer la peine était autorisé à refuser d’imposer une amende à M. Rafilovich.
D’après la majorité, en temps normal, le juge chargé de déterminer la peine ne doit pas imposer une amende à quelqu’un en vue de récupérer la somme qui a été utilisée (avec l’autorisation d’un juge) pour payer sa défense. Ce serait injuste. L’accusé est présumé innocent durant son procès. (La présomption d’innocence fait partie des raisons pour lesquelles, selon le Code criminel, l’argent peut être restitué avec la permission d’un juge.) Si l’accusé devait payer au ministère public la somme dépensée en frais juridiques en cas de déclaration de culpabilité, il pourrait décider de ne pas embaucher un avocat. La majorité a affirmé que l’objet de l’amende était d’empêcher les gens de dépenser des produits de la criminalité ou de les dissimuler. L’amende ne visait pas à punir quelqu’un pour avoir invoqué la présomption d’innocence et avoir embauché un avocat pour se défendre. La justice criminelle a pour raison d’être d’assurer une procédure équitable pour arriver à un résultat juste, et non d’obtenir la peine maximale à tout prix.
L’affaire en l’espèce portait sur la manière dont un juge devrait exercer son « pouvoir discrétionnaire ». Le pouvoir discrétionnaire désigne la liberté du juge de trancher certaines questions, une liberté qui comporte des limites fixées par la loi. C’est la première fois que la Cour se penchait sur le pouvoir discrétionnaire d’un juge d’imposer une amende pour récupérer les produits de la criminalité ayant servi à payer des frais juridiques.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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