La cause en bref

R. c. Morrison

La Cour suprême a statué à l’unanimité qu’une portion de l’article du Code criminel concernant le leurre est inconstitutionnelle parce qu’elle viole la présomption d’innocence.

Parler en ligne (ou au moyen d’un téléphone cellulaire) avec une personne n’ayant pas atteint l’âge fixé par la loi dans le but d’essayer de profiter d’elle sexuellement est un crime. C’est aussi un crime de le faire si vous croyez qu’elle n’a pas atteint l’âge fixé, alors qu’elle l’a atteint. Ce qu’on appelle le « leurre ».

Monsieur Morrison a publié une annonce en ligne. L’annonce, publiée en anglais, s’intitulait en partie « Papa recherche sa petite fille ». Une agente de police se faisant passer pour une fille âgée de 14 ans dénommée « Mia » y a répondu. Monsieur Morrison et « Mia » ont entretenu des conversations en ligne de nature sexuelle pendant plus de deux mois. Il a demandé à « Mia » de se toucher de manière sexuelle. Il a lui également suggéré de faire l’école buissonnière pour qu’ils puissent se rencontrer et se livrer à des activités sexuelles. Il a été accusé de leurre.

Pendant son procès, M. Morrison a prétendu qu’il croyait parler avec une femme adulte qui feignait d’avoir 14 ans. De plus, il a fait valoir que trois éléments importants de l’article du Code criminel relatif au leurre violaient ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. (La Charte fait partie de la constitution canadienne.)

Premièrement, selon le Code criminel, la personne à qui une autre personne se présentait comme n’ayant pas atteint l’âge fixé était présumée l’avoir crue. Il n’existait qu’une seule exception : prouver qu’elle n’avait pas cru l’autre personne. Monsieur Morrison a affirmé que cette situation violait son droit à la présomption d’innocence. Avant de reconnaître une personne coupable d’un crime, le juge ou jury doit croire que cette personne est coupable hors de tout doute raisonnable. Il y a violation du droit à la présomption d’innocence dès qu’une disposition législative a pour effet de permettre qu’une personne soit déclarée coupable même s’il existe un doute raisonnable. Par effet de la disposition en cause, M. Morrison était présumé avoir cru « Mia » lorsqu’elle avait affirmé être âgée de 14 ans, et ce, même s’il existait d’autres explications.

Deuxièmement, selon le Code criminel, une personne ne serait pas reconnue coupable si elle croyait honnêtement que l’autre personne avait atteint l’âge légal, peu importe que cette croyance soit fondée ou pas. Cependant, ce moyen de défense ne pouvait être invoqué que si des « mesures raisonnables » avaient été prises en vue de connaître l’âge réel de l’autre personne. De l’avis de M. Morrison, cette exigence violait des principes de justice fondamentaux, étant donné qu’il pouvait être reconnu coupable simplement parce qu’il n’avait pas pris de « mesures raisonnables » pour connaître l’âge réel de « Mia ».

Troisièmement, pour les affaires les plus graves, le Code criminel fixait une « peine minimale obligatoire » d’un an d’emprisonnement. Le juge ne pouvait pas imposer une peine moins lourde même si la peine minimale était trop sévère dans les circonstances. Monsieur Morrison a fait valoir que cette peine minimale violait son droit à la protection contre les peines cruelles et inusitées.

Le juge du procès était d’accord pour dire que le premier élément violait le droit à la présomption d’innocence de M. Morrison. Il a néanmoins déclaré M. Morrison coupable au motif que ce dernier n’avait pas pris de mesures raisonnables pour connaître l’âge réel de « Mia ». Toutefois, il était d’avis que la peine minimale obligatoire violait la Charte et il a imposé une peine plus courte. La Cour d’appel a souscrit aux conclusions du juge du procès.

Tous les juges de la Cour suprême étaient d’accord pour dire que le premier élément violait le droit à la présomption d’innocence. Ce n’est pas parce qu’on nous dit quelque chose en ligne qu’on le croit. Les gens ne disent pas toujours la vérité sur Internet. Pourtant, la présomption établie dans la loi faisait en sorte qu’un individu pouvait être reconnu coupable même si le juge ou le jury avait un doute raisonnable quant à savoir si l’individu croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Cela violait la présomption d’innocence.

La plupart des juges ont convenu que l’obligation de prendre des « mesures raisonnables » ne violait pas la Charte, mais ils ont affirmé que les juridictions inférieures l’avaient mal interprétée. Monsieur Morrison pouvait essayer de se défendre en affirmant qu’il croyait honnêtement que « Mia » avait atteint l’âge légal. Pour ce faire, cependant, il devait présenter de la preuve tendant à montrer qu’il avait pris des mesures raisonnables pour connaître l’âge réel de « Mia ». Toutefois, le simple fait de prouver que M. Morrison n’avait pas pris de mesures raisonnables ne suffisait pas, en soi, à faire déclarer ce dernier coupable. La Couronne (la poursuite) devait quand même prouver hors de tout doute raisonnable que M. Morrison croyait que « Mia » n’avait pas atteint l’âge fixé par la loi.

Les juges majoritaires ne se sont pas prononcés quant à savoir si la peine minimale obligatoire violait la Charte. Les juridictions inférieures ont mal compris le fonctionnement de la disposition législative et cette méconnaissance ne constituait pas le bon fondement pour trancher cette question.

La plupart des juges ont convenu que les erreurs du juge du procès justifiaient la tenue d’un nouveau procès.

Deux autres décisions de la Cour suprême portaient sur l’article du Code criminel relatif au leurre, mais cette affaire est la première où la Cour a dû se demander si cet article violait la Charte.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.